Ouverture de la Journée Annuelle des Psychologues
Par Anne J., présidente du CPCI et
Axelle M., psychologue clinicienne au CHAI
Nous continuons aujourd’hui notre travail entrepris l’année dernière à la même date et dans le même lieu à propos de l’identité des psychologues, de leur capacité à travailler et à réfléchir ensemble.
Je choisis aujourd’hui un discours d’ouverture peu théorisé mais plutôt une création narrative de ma place et de mon positionnement. J’exerce le métier de psychologue clinicienne. Je suis psychologue dite institutionnelle dans une maison d’accueil spécialisée et également intervenante en analyse de la pratique. Parallèlement je suis engagée dans le diplôme universitaire d’analyse de la pratique de l’institut de psychologie à l’université de Lyon.
Comme vous le savez, je suis la Présidente du Collège des Psychologues Cliniciens de l’Isère depuis 2 ans. Il n’y a pas eu d’enjeux de rivalité lors de mon élection, il fallait quelqu’un à ce poste que personne ne voulait, j’y suis allée.
Je suis également, comme vous, citoyenne et j’ai le sentiment de subir des mutations sociétales et mondiales qui manquent de cohérence et de sens et qui viennent me solliciter du côté de l’opposition, de la révolte. Frédérique GROS, philosophe, parle de la « désespérance du monde à la mesure de notre impuissance« . Il ajoute : « Pourquoi est-il si facile de se mettre d’accord sur la désespérance du monde et si difficile pourtant de lui désobéir ?«
La transmission est donc le thème qui nous habite aujourd’hui. Il me semble que nous traversons une crise du récit, de la mise en mots, de la mise en débat. Ma réflexion s’appuie sur les écrits de Walter Benjamin, philosophe allemand de la première moitié du XXème siècle que j’ai découvert au travers des ouvrages de Roland GORI.
Souvent cette année, à ma place de Présidente du CPCI, entre autres, j’ai été envahie de sentiments négatifs, dépressifs et quelquefois violents, sentiments de colère, de désespoir, d’inertie, pestant contre l’énergie qu’il nous fallait trouver pour mener à bien les actions, les objectifs du CPCI, objectifs qui sont à mon avis à la fois humbles et suffisants pour créer la dynamique nécessaire à la créativité et à l’existence de ce groupe « laïque » de psychologues, c’est-à-dire non rattachés à une institution particulière. Ses fondateurs ont aujourd’hui quitté l’association et la plupart sont partis à la retraite, nous avons du mal à prendre le relais. La notion d’engagement vient ici prendre tout son sens … il fut un temps semble-t-il révolu, où lorsqu’on prenait date pour une rencontre, on y était présent et non pas débordé par l’accélération d’un temps subjectif. Le paroxysme de ce malaise fut ce printemps où je me surpris à penser : « y’a plus qu’à se payer en douce un voyage avec l’argent dont on dispose sur le compte du CPCI … et stopper cette aventure« . Car paradoxalité de la situation : la santé financière du CPCI est bonne et nous permet d’organiser ce type de journée sans avoir la préoccupation des entrées d’argent. Comme quoi, finalement, l’argent n’est peut-être pas le nerf de la guerre …
Les encouragements et les remerciements concernant la communication du CPCI via sa boite de messagerie sont nombreux, néanmoins, je souhaiterais que le CPCI ne devienne pas un réseau social à l’image de « facebook » ou « twitter », qu’il ne soit pas que cela, qu’il ne soit pas surtout cela.
Alors il me restait à partager ces préoccupations avec les membres du Comité d’organisation de cette journée et sentir alors la nécessité impérieuse de sortir de notre pessimisme en allant voir ailleurs si l’herbe est plus verte … Lyon vécu par nous grenoblois comme un des bastions de la psychanalyse et porteur d’une pensée clinique vivante et vivifiante, le petit village gaulois, quoi. Je remercie donc Sarah GOMEZ d’être avec nous.
Je me pose la question de notre groupe, ici et maintenant. Sommes-nous en capacité de défendre nos droits, nos contrats de travail, notre temps FIR, notre travail de psychologue particulièrement attaqué dans le registre qui est le sien, c’est-à-dire la pensée. Les psychologues peuvent ainsi être instrumentalisés quand la précarisation de nos postes ne nous permet pas toujours de nous positionner face à nos directions. Mathilde DESCHAMPS nous parlera tout à l’heure de l’institution.
Penser et agir maintenant.
Aller plus loin aujourd’hui et faire peut-être ensemble. Pour ceux qui étaient présents l’année dernière à cette journée, souvenez-vous de l’intervention de Ludovic GADEAU. 500 nouveaux diplômés en psychologie qui sortent des bancs des facultés Rhône-alpines. Au niveau national, c’est 4967 diplômes de psychologie délivrés en 2016 toutes options confondues. Les institutions vont-elles offrir le nombre de postes correspondants ? Non. Et nous psychologues isérois et Rhône-alpins que faisons-nous par rapport à cette situation ? Comment pouvons-nous nous positionner ? Vous comprenez donc la raison de la présence de Jacques BORGY à nos côtés aujourd’hui.
Pour finir cette introduction et lancer la journée, j’ai appris l’existence d’un blog de psychologues qui s’intitule : « un jour, les psys domineront le monde mais pas demain faut rendre un rapport« . Voilà de quoi nourrir notre réflexion.
Et avant de passer le bâton de relais à Axelle Mars, j’ajoute un dernier point concernant « la pensée et l’action » : ce discours d’ouverture ne se veut pas trop militant, néanmoins, vous savez qu’une association comme le CPCI, même si cette dernière se porte bien financièrement, vit uniquement grâce aux adhésions. Nous avons donc prévu un stand « adhésions ».
Anne J., présidente du CPCI
Nous avons donc choisi de titrer cette journée qui nous réunit : Malaise dans la transmission : Je vous épargnerai les différentes étymologies dont nous sommes férus, nous les psychologues, tellement soucieux ou faudrait-il dire curieux des origines, pour en garder le vocable « mission ».
Mission : Celle qui m’est dévolue ce jour serait-elle d’usurper une place, naguère tenue par le secrétaire du Collège des Psychologues du CHAI, auparavant appelé C.H.S ?
Ce dernier d’ailleurs, qui d’un revers de signifiant a perdu son « S », ce « S », qui pourtant lui conférait sa spécificité, c’est-à-dire de pouvoir recevoir des personnes ayant des troubles psychiques quels qu’ils soient. A l’instar des pavillons qui ont perdu leurs noms de médecins psychiatres pour ceux plus fleuris de Berlioz, Matisse…
Alors, malaise dans la transmission : Nous sommes là au cœur du sujet.
Savez-vous qu’à l’origine du Collège des Psychologues actuel était le C.L.I.P.P, Comité de Liaison et d’Information des Psychologues Praticiens. Il s’agissait d’une association fédérant des psychologues de divers horizons, du CHSP, eh oui, P pour Psychiatrie, de Saint-Egrève, de Bassens, de l’AFIPAIEM, LE Perron, l’OVE…
Le premier document que j’ai tenu dans les mains date de décembre 1977 et a pour titre « revendication salariale : note aux psychologues ». Il s’agit d’un document rédigé par les syndicats CGT, CFDT et SNP aux psychologues :
« Chacun d’entre nous est conscient de la sous-rémunération qui frappe notre profession. Actuellement, il n’est pas tenu compte :
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De notre niveau d’études ni de notre qualification
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De la réalité de notre travail ni de nos responsabilités.
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Notre revendication salariale s’inscrit normalement dans le contexte social général actuel. Tous travailleurs de notre pays se battent contre l’érosion de leur pouvoir d’achat et pour obtenir des salaires décents, et les Psychologues ne sont pas différents des autres salariés. »
Le CR de l’AG du 20 Avril 1978 traite du problème du numerus clausus au DESS de Psychopathologie et pose ainsi la question :
« Faut-il former des psychologues en fonction des débouchés dans le monde du travail ?
Ou faut-il former des individus compétents, capables de s’intégrer eux-mêmes dans la vie professionnelle ?
Plutôt que de créer de nouvelles spécialisations en 5ème année ne pourrait-on pas intégrer dans les études de Psychologie des formations qui sont nécessaires à tout praticien (formations de groupe, analyse institutionnelle, connaissances des réalités professionnelles…) ? »
Tout cela n’est pas sans évoquer l’intervention de Ludovic Gadeau de l’an dernier.
En 1979, la première journée régionale des psychologues pensée comme un débat public, regroupe une soixantaine de psychologues sur les 170 conviés….y croirez-vous, la journée s’articulait autour d’une table ronde d’une dizaine de psychologues, et d’un débat suite à cette table ronde, concernant les différents aspects du travail du psychologue (champ statutaire, etc). L’année suivante la journée intitulée « seuils et normes dans la fonction du psychologue » se proposait de réfléchir au problème des psychologues sans travail : « quelle solidarité à ce sujet ? », et à celui de la pratique des psychologues face au pouvoir institutionnel…Puis deux années ouvertes de travail visant à participer à l’élaboration du projet de loi sur la protection du titre de psychologue établie en 1985, sur le statut du psychologue, ainsi que sur la constitution du DESS. Enfin, le code de déontologie qui sera fondé en 1996 est l’objet de presque chaque réunion mensuelle. En 1991 le CLIPP devient le collège des psychologues du CHS de Saint Egreve. En 2004, des membres du collège associés à des psychologues d’autres institutions ressentent le besoin de créer une association hors les murs : Le CPCI est né.
Mission, car dans la journée qui nous réunit aujourd’hui, et celles qui ont précédé, pour les membres qui l’ont construite au fil de nos réunions, cette valence-là prend tout son sens. D’année en année, continuer à faire vivre cette journée relève de la mission, alors qu’elle constitue véritablement l’unique temps autour d’un objet commun : nous retrouver. De la même manière, continuer à faire vivre le collège des psychologues, et aussi, le CPCI, comme vous le disait Anne Jambrésic, peut parfois relever de la gageure.
L’engagement collectif des psychologues est en berne, au sein d’une époque où le sujet peine à trouver un lieu, un refuge, où il puisse traiter de ses angoisses liées à sa condition d’être humain.
Enfin, Sommes-nous encore en mesure dans nos mondes contemporains d’assurer les missions qui nous incombent, au sein de l’Hôpital, les missions de service public ? Mais aussi plus largement, les psychologues peuvent ils se sentir encore suffisamment tranquilles pour assurer leurs missions dans l’institution dans laquelle ils travaillent ? Et si oui, pour combien de temps encore ?
Aujourd’hui, dans le tourbillon des contraintes et des multiples niveaux d’indifférenciation, nous sommes appelés, me semble-t-il, à soutenir la dignité à laquelle les patients ont droit, à prendre le pouls des équipes violentées par ces langues étrangères du « tout rentable et tout contrôlable » et les accompagner ; à proposer des lectures de ce démantèlement organisé de l’histoire ; à être, comme le disait Serge Manin « force de proposition », pour lutter contre l’effondrement. Acceptons nous d’assurer, « fils et filles de » une continuité d’existence à la génération que constitueront les psychologues de demain ?
Cela suppose inévitablement d’assumer être dans un certain dévoiement à l’intérieur de notre institution qui rame en sens inverse.
Nous traversons un moment dépressif qui perdure. Surmonter la position dépressive, c’est pouvoir reconnaître, et supporter, que les bons peuvent être méchants mais que les méchants, aussi, peuvent être gentils…
A l’hôpital, les formations, celles que nous avons reçues aussi bien que celles que nous pouvons proposer, mais également, quelque chose de l’ordre de la famille, font partie à mon sens du bon.
La famille élargie, pour ma part, de mes collègues psychologues, psychomotriciens, assistantes sociales, infirmiers, éducateurs, orthophonistes, enfin, quand il en existait encore, et de certains médecins avec lesquels l’idée de collaboration conserve tout son sens. Dans ce qui nous relie, une forme de ténacité et la conviction que nous ne pouvons pas être ailleurs que là où nous nous efforçons de rester arrimés, au chevet de nos patients. L’hôpital est le lieu de l’Hospitalité.
Tout cela suppose de pouvoir supporter l’incertitude et le désarroi qui ne sont pas de vains mots nous concernant. C’est plus facile à plusieurs.
Certes, c’est peut-être de l’illusion groupale, mais n’avons-nous pas besoin de cette illusion d’omnipotence pour survivre ?… à l’image de l’enfant qui en jouant, avec toute la force de ses pulsions, surmonte sa douleur et sa peine inhérentes au fait même de vivre. Et ainsi, je finirai par cette phrase de Piera Aulagnier dans la Violence de l’Interprétation qui résonne avec notre journée : « Vivre c’est expérimenter de manière continue ce qui résulte d’une situation de rencontre ».
Axelle M., psychologue clinicienne au CHAI
Vendredi 24 novembre 2017 – Grenoble