Jean-Louis Beratto
A propos de …
Didier Chaulet , Dominique Quelin-Soulignoux (sous la direction de)
Le groupe : une médiation
Toulouse, érès, 2023
Cet ouvrage nous propose un apport théorique et un panorama des différents dispositifs groupaux utilisant une médiation. Dans une première partie de nombreuses questions sont abordées : A quel niveau situer le ressort thérapeutique dans les différentes modalités de groupe ? Quelle interaction pouvons-nous discerner entre processus groupal et médiations ? Comment pense-t-on la dimension du groupe d’une part, celle de la médiation d’autre part, ainsi que leurs articulations ? Parle-t-on de groupe à médiation ou du groupe comme médiation ? Si la médiation relève de l’intermédiaire, comment l’objet médiateur constitue-t-il un moyen d’externalisation ?
Le groupe comme médiation ouvre une accessibilité à l’autre sachant qu’une médiation seconde s’avère parfois nécessaire pour rencontrer les membres du groupe. Ainsi, et le groupe et la médiation créent de l’intermédiaire. Animer un médium ne va pas de soi ; son utilisation est-elle un passage obligé ? Comment le groupe lui-même se représente-t-il la médiation ?
René Kaës accorde une grande importance à la considération des liens au sein du groupe. Ce n’est pas l’objet médium sensoriel ou objet culturel préconstitué qui compte mais la fonction médiatrice, fonction qui n’advient que par l’accompagnement de l’expérience par l’écoute et par la parole. Ainsi le groupe à médiation devient un espace d’expérience qui permet un processus transformationnel. Selon lui, Il s’agit d’accompagner le processus élaboratif pour remobiliser le préconscient à partir d’une pluralité des espaces psychiques constitutive des groupes : celui du sujet singulier, celui du lien dans le groupe, celui du groupe. Devient alors centrale la question des modalités de passage entre ces différents espaces. Y répondre nécessite une considération de l’intermédiaire, de la transitionnalité, des frontières, des enveloppes et des fonctions phoriques. La médiation prend place dans une problématique des limites, entre créativité et destructivité, où peut advenir une transformation en articulant les enveloppes psychiques individuelles, intersubjectives et groupales.
Jean-Bernard Chapelier porte attention au groupe comme espace à médiation et comme espace de médiation. Il rappelle combien la complexité groupale fragilise les narcissismes individuels et le maintien de l’individuation. L’excitation individuelle amplifiée par la situation groupale participe au cycle désorganisation/réorganisation ; un défaut de contenance est le risque majeur. Le passage à la représentation est ici favorisé par la contrainte à la symbolisation présente dans le dispositif ; le thérapeute se doit d’accueillir et de transformer les objets inquiétants déposés dans son psychisme. Une fois opérée cette « décontamination », l’illusion groupale peut se déployer et apporter une sécurité affective. Le groupe assure alors une contenance et devient un objet libidinal. Jean-Bernard Chapelier rappelle que l’évolution dynamique du groupe thérapeutique se tisse d’une succession de déliaisons/liaisons où des moments d’élaboration font suite à des régressions importantes. Il note qu’une trop grande régression peut générer un éclatement du groupe dû à « un surplus pulsionnel désorganisateur » et, à l’opposé, qu’une contenance trop contraignante s’avère anti-thérapeutique. Le tact du thérapeute, sa formation notamment à la conduite des groupes, contribuent à la fiabilité du cadre. Il estime que les seuls médiateurs effectifs sont le groupe avec ses capacités d’auto-organisation et le thérapeute avec ses capacités de représentation et d’élaboration. Les objets dits « médiateurs » constituent des moyens d’expression devenant les objets médiateurs des médiateurs. Il mentionne le risque que le matériel se substitue à la fonction médiatrice du thérapeute et propose de débaptiser les objets médiateurs pour les nommer « objets auxiliaires » du médiateur.
Pierrette Laurent examinant les conditions nécessaires à l’existence d’un groupe thérapeutique retient la clôture comme principe premier ; clôture qui définit un espace-temps, un contenu, la présence de thérapeutes. C’est à l’intérieur de ce cadre que l’illusion groupale laissera place à l’expression d’une certaine conflictualité qui doit permettre une transformation des processus psychiques à l’œuvre. Le potentiel thérapeutique des groupes réside dans cette capacité de transformation. Deux situations cliniques illustrent la force cohésive des groupes et montrent combien la médiation rend perceptible la dynamique groupale, tel un « canal d’expression » à partir du moment où le thérapeute est plus attentif à l’expression des membres du groupe qu’à la production.
La seconde partie rassemble de précieuses réflexions relatives au processus de médiatisations observé dans différents cadres-dispositifs de groupe et de nombreuses illustrations cliniques. Farid Dafri décrivant un dispositif de psychothérapie de groupe pensé pour des auteurs de violences familiales et conjugales, s’interroge sur les conditions qui permettent à des objets culturels de devenir des objets transitionnels pour les patients. Il rend perceptible comment la figure du monstre donne accès à une évocation singulière pour chacun, signifiant différentes valeurs en fonction des histoires familiales respectives, convoquant parfois le transgénérationnel. Pour ce faire, il précise que le groupe et les thérapeutes doivent témoigner d’une capacité à accueillir le négatif, les éléments chargés de violence et soutenir un travail de « figuration, représentation, mise en sens ».
Didier Roffat et Aurélie Marin s’intéressent à la médiation emboîtée. Ils soulignent la nécessité d’une cohérence entre les différents groupes institutionnels. Avant l’utilisation de l’objet de la médiation, comment s’assure-t-on de la fiabilité du groupe, groupe qui s’inscrit dans un environnement institutionnel ? Il s’agit ici d’être attentif au comment le groupe thérapeutique prend place dans l’institution, d’évaluer la fiabilité de l’environnement, de ne pas négliger l’impensé institutionnel. A ce propos, Ils se demandent comment le groupe thérapeutique peut assurer une fonction médiatrice pour les autres groupes de l’institution. Ils partagent leur expérience d’un groupe à « médiation emboîtée », conte et dessin.
Philippe Perocheau, Natalie Bayle, Chantal Chabas interrogent la médiation dans les psychothérapies de groupe. Après la présentation de leur dispositif, de son cadre, de ses règles : un groupe d’enfants et un groupe de parents conduits par un couple de thérapeutes, ils décrivent un processus qui se développe en plusieurs étapes. La peur de l’indifférenciation présente en début de groupe s’estompe progressivement pour laisser place à une différenciation, perceptible par l’émergence du bouc émissaire, manifestation de l’agressivité. Agressivité qui, dans un troisième temps, s’adresse aux thérapeutes tenus de survivre à ces attaques. Le groupe accède alors à un nouvel équilibre où les différences ne sont plus perçues comme des menaces identitaires. « Le groupe se névrotise » écrivent-ils. Ils soutiennent l’hypothèse que « ce n’est pas le groupe en tant que tel qui est une médiation, mais le groupe dans son processus singulier ». Processus soutenu par les thérapeutes assurant une continuité de présence, proposant aux enfants des objets médiateurs, qui permet la transformation de l’excitation en ébauche de représentation.
Coraline Mabrouk utilise au sein d’un CMPP la médiation écrite, elle se demande si le texte constitue un prétexte au travail de groupe. Qu’est-ce qui soigne ? la mise en groupe ou le passage par l’écriture ? S’adressant à des enfants âgés de 9 à 11 ans souffrant de difficultés relationnelles, de langage, d’écriture, d’organisation de la pensée, elle observe que le groupe dit « à tâche » permet un rappel de la consigne lorsqu’est perçu un risque de débordement. Mais ce rappel ne suffit pas à la figuration de ce qui se vit dans le groupe, condition de son effet thérapeutique. La dynamique groupale et l’écrit sont aux premiers plans mais peut-on préciser les ressorts utilisés pour qu’un groupe à médiation génère des effets thérapeutiques ?
Fabrice Hayem et Lola Vorm, à partir de leur travail dans une unité de soins intensifs du soir, détaillent comment le passage d’un collectif institutionnel médiatisé à un groupe thérapeutique fermé favorise l’accès à une mise en représentation du fonctionnement psychique. Accueillant des enfants présentant une défaillance de contenant, une absence de limite entre le dedans et le dehors, un débordement des excitations, ils leur proposent de « vivre l’expérience de découvrir l’objet à leur rythme dans une pluralité des voix que propose l’institution », comme le formulait René Diatkine, à l’origine de cette modalité de soins. L’accueil se déroule en deux temps, le premier en petits groupes, le second en libre circulation entre différents ateliers à médiation où peut s’éprouver un sentiment d’existence. Une deuxième phase de la prise en charge est le passage du collectif médiatisé au groupe fermé à durée indéterminée. L’occasion d’une reprise « après-coup » de la rencontre initiale, rendue possible par la continuité de la présence des adultes. Une belle illustration clinique nous est proposée ; la création de l’objet groupe favorise, selon les auteurs, le passage d’un questionnement à la forme passive à la forme active.
Almudena Sanahuja, dans le cadre d’un travail de recherche, relate la mise en place d’un dispositif pour adolescentes souffrant d’obésité. Il se compose de trois ateliers corporels, le premier se centre sur la limitation corporelle en utilisant des enveloppements, des soins en hammam, des soins thermaux ; le deuxième propose des soins esthétiques, maquillage, conseil vestimentaire ; le troisième associe coiffure, maquillage, shopping et photographie. Situation groupale qui donne l’occasion aux jeunes filles de partager et d’élaborer leurs difficultés de séparation avec l’objet maternel. Favorisant un premier temps de régression, d’indifférenciation entre les membres pris dans une peau commune, le groupe devient progressivement un espace où s’opère un travail de transformation symbolique, indispensable au processus de séparation. Une écoute des problématiques individuelles au sein de la dynamique de groupe est ici nécessaire pour saisir les enjeux psychiques mobilisés pour chacun.
Jean-Jacques Poncelet partage ses réflexions issues d’expériences auprès d’enfants en âge de latence présentant des pathologies de l’extrême, aux limites de la symbolisation. Comment mettre en travail psychique des vécus paradoxaux d’hyperexcitabilité, d’hyper-sensorialité, devient la préoccupation première. L’identification adhésive, le démantèlement empêchent toute rencontre avec l’autre. Après une expérience groupale où l’objet médiateur fut la pâte à modeler, il interroge la pertinence de cette médiation pour des enfants autistes et questionne la place qu’elle prend pour les thérapeutes. Est-ce pour eux un objet fétiche réduisant le champ perceptif d’observation ? En effet les enfants explorent d’autres éléments de l’espace groupal. Chemin faisant ils abandonnent tout objet médiateur et y substituent le terme de représentance. L’auteur témoigne de l’évolution de leur regard clinique porté sur les vécus d’immuabilité, sur le processus de démantèlement, sur le holding symbolique relevant de l’architecture de la salle d’accueil, de ses aménagements. Une illustration clinique permet d’appréhender comment peuvent advenir des formes de symbolisations primaires.
Eric Jacquot analyse la dynamique des espaces dans la prise en charge d’enfants psychotiques, autistes, en considérant l’espace matériel comme médium malléable. Il nous convie à penser le rapport aux espaces comme un processus, notant que la projection sur les différents espaces du dispositif participe à la construction du processus thérapeutique. Transformer en jeux un lien adhésif au dispositif-cadre ne peut advenir sans la conviction que les formes d’expression « sans sujets » constituées d’images tactiles, posturales et motrices, sont porteuses de processus à potentiel de subjectivation. La dynamique des espaces est pensée comme issue symboligène, notamment la transition de l’espace matériel à l’espace du groupe. Une adhésion des thérapeutes à une potentialité de sens est requise. Transformer un jeu « potentiel » en jeu « véritable » nécessite ici la temporalité d’une action qui donne accès à une appropriation subjective. Au début c’est l’environnement non-humain qui constitue l’objet-cadre et supporte une « adhésivité de transfert ». Progressivement l’apparition de conduites imitatives soutient le processus de symbolisation en groupe, une reprise transformatrice par le collectif peut advenir. Des vignettes cliniques en rendent compte.
Philippe Robert aborde la médiation en thérapie familiale psychanalytique. Il rappelle que cette modalité thérapeutique ne se réduit pas à une cure de parole mais nécessite une prise en compte d’un ensemble d’expressions. L’approche systémique, l’analyse de groupe ont enrichi sa pratique. En thérapie familiale psychanalytique, le groupe familial est considéré comme une entité souvent marquée par des « transmissions défectueuses » qui entravent les processus de changement. Envisager une aide à la figuration s’avère pertinent face aux difficultés de mentalisation présentes, mais si le groupe est une médiation, la famille n’en est pas une. Il précise que la médiation n’est pas qu’un support à la mentalisation, elle génère une « façon d’être ensemble » dans la rencontre thérapeutique. L’essentiel n’est pas la technique utilisée (génogramme, psychodrame, ou autres…) mais la dimension de création commune avec le groupe familial, création porteuse d’une potentialité de représentation et de symbolisation. Prenant l’exemple du génogramme, proposé comme élément facilitateur, il en précise les « inconvénients » potentiels et nous avertit d’une possible utilisation défensive des techniques de médiations chez les thérapeutes.
Hervé Chapellière partant du constat que le dispositif de la supervision en groupe est « particulièrement riche et stimulant », revisite son origine dans le cursus analytique. Citant Paul Israël considérant le rôle du groupe comme médiation heureuse, il observe que la clinique exposée rencontre des échos très différents selon les participants et s’interroge sur les effets possibles de la dynamique du groupe de supervision sur ces résonances. Est-ce la dynamique du groupe qui influe sur une part du contenu abordé ? Peut-elle induire la présentation clinique ? les mouvements groupaux qui l’animent font-ils l’objet d’une élaboration ? En quoi sont-ils possiblement révélateurs du contre-transfert des thérapeutes ? La dynamique de la clinique exposée et celle du groupe de supervision ont parties liées. Un exemple clinique illustre cette dimension des « redoublements emboîtés ». En fin deux façons d’appréhender le groupe de supervision sont mentionnées, le groupe de supervision à médiation, le groupe de supervision comme médiation.
Un livre à recommander aux professionnel(le)s qui s’engagent dans la conduite de groupes.