Ouverture JAP 2022

OUVERTURE JAP 2022

par Anne JAMBRESIC, présidente du CPCI

Comme vous vous en doutez, les membres du Comité d’organisation de cette journée sont heureux, ravis de vous accueillir à nouveau après deux ans et demi d’absence. Il fut long le temps entre cette Journée et la précédente. Temps de doute, d’espoir, d’incertitude, mêlé à une réalité sanitaire puis géopolitique qui vint nous ébranler dans nos vies, dans nos pratiques. Peut-être un jour pourrons-nous dire : « cela nous fut bénéfique », même s’il est vrai que les difficultés géopolitiques que nous traversons actuellement ne nous permettent pas de l’affirmer. Les institutions de soins continuent à vaciller : manque de personnel, manque de temps pour penser, manque de temps pour élaborer à plusieurs nos pratiques plurielles.

Néanmoins dans le cadre de nos pratiques de psychologues, psychothérapeutes, en institution et en libéral, nous sortîmes de la caverne, de nos habitudes pour inventer de nouveaux cadres de travail. Ce qui s’est imposé à nous a été une modification du cadre avec une prescription venant de l’extérieur : Suspendre les séances ? Porter un masque ? Utiliser un ordinateur ? Mettre un écran entre nous et le patient ? Dire de nous si nous sommes vaccinés, si des personnes de notre entourage sont malades ? Incertitude dans nos pratiques donc. Incertitude pour nos patients.

La crise que nous avons traversée nous a amené à aménager, en puisant dans notre fond originel, créativité et peut-être fantaisie, pour inventer des manières de rester en lien avec nos patients, partageant avec eux cette épreuve cruelle de ce qui fut bien une expérience de séparation, ressentie pour certains comme traumatique car privés de ce temps si précieux de préparation psychique.

L’épreuve pour la première fois ne touchait pas uniquement nos patients. Nous étions touchés de la même façon, au même niveau : privés de sortir, privés des autres, obligés à porter un masque, etc … En outre, nous ne disposions pas d’antériorité par rapport à cet événement, cela ne nous était jamais arrivé, à nous, à nos patients, aux différentes générations en place. Comment imaginer s’en sortir sans sortir ? Nous étions dans le noir de la planète.

L’incertitude se vivait à l’échelle de la planète : il n’y avait plus de différences nord / sud. Nous avons alors vu les continents touchés les uns après les autres dans une défaite inexorable face au virus et à sa propagation.

L’incertitude ou la capacité négative :

La capacité négative est un concept développé par Wilfred BION. Il s’agit de cette capacité du psychothérapeute d’être dans le mystère et le doute, d’accueillir le nouveau sans l’anticiper. Axelle Mars nous parlera, me semble-t’il, de la capacité négative lors de son intervention. Je trouve pour ma part admirable que Bion soit allé chercher/trouver/ créer auprès d’un poète ce concept. Cela me ravit. Le poète britannique John KEATS, 1795-1821, disait : « l’incertitude est celle de l’homme quand il est capable de se trouver un milieu d’incertitudes (avec un S), de Mystères (avec un M majuscule), de doutes, sans irritation impatiente de parvenir à un fait et à la raison ». Bion annonce : « Keats découvrit un « principe d’incertitude » qu’il appela capacité négative ».

Jacquelyne Poulain-Colombier dans un petit texte intitulé « Lire Bion avec Keats » insiste que le positionnement du psychothérapeute : « L’instrument de l’analyse est une attitude de doute philosophique car c’est sur lui que se construit l’analyse. Il est primordial de conserver ce doute. En tant qu’analyste, dit Bion, j’étais appelé à garder un esprit ouvert, tout en ayant le sentiment d’être constamment sollicité (à commencer par moi-même) à trouver refuge dans une certitude ».

Autrement dit, pour le psychanalyste qui doit entrer en contact avec les faits psychanalytiques, accéder à la capacité négative ne relève pas d’un exercice intellectuel, ce n’est pas une technique du non-savoir. La capacité négative pour le psychanalyste en séance – et je souligne en séance – c’est résister à la tentation de s’accrocher à ce qu’il sait, supporter d’attendre tout en faisant face à « l’épouvante » que le travail de la curiosité peut provoquer en lui, « payer le prix » et, pas une fois, à chaque fois.1

C’est se laisser suspendre. Un travail d’acrobate sans cesse renouvelé, tel le funambule sur son fil.

C’est le principe même de l’activité des psychologues et psychothérapeutes dont l’acte de foi se situe dans la possibilité de la croissance psychique. Nous croyons en la possibilité de la croissance psychique.

Sans savoir où nos patients vont nous mener. Pour ma part, je suis toujours quelque peu sidérée, surprise des chemins qu’ont parcourus mes patients, histoires de vie tourmentées que l’on n’aurait pu imaginer, surprise de la singularité de chaque histoire. Surprise de la complexité de l’âme humaine. Il n’existe pas de programme défini et sûr pour répondre à cette demande qui nous est adressée, pour répondre à cette souffrance qui cherche à se transformer. Nous ne saurons jamais à l’avance ce que nous allons répondre à nos patients. Enigme de la maladie, de la souffrance psychique, énigme du chemin psychothérapeutique. Comme il est également intéressant de recevoir dans nos cabinets des patients qui ne nous ressemblent pas.

« Doing the best of a bad job », disait encore Bion. Phrase difficilement traduisible car comme souvent l’anglais vient dire plus que des mots. Faire du mieux possible à partir d’un boulot difficile.

Expérience de l’incertitude, ou / et expérience de la patience. Patience qui nous a éprouvés ces deux dernières années. Au-delà de cette crise sanitaire, Qui du thérapeute ou du patient est le plus patient ?

Incertitude et angoisse ? Anxiété et angoisse montrent notre intolérance à l’incertitude. Après avoir cité le poète John Keats, il me plait de terminer l’introduction à notre Journée de travail tant attendue par une des boutades de Woody Allen :

« Tant que l’homme sera mortel, il ne pourra pas être vraiment tranquille »

Je remercie dès à présent les différents intervenants contribuant à la réussite de cette journée. Bonne journée à toutes et tous.

Anne JAMBRESIC

1 Jacquelyne Poulain-Colombier « Lire Bion avec Keats », De la « capacité négative », comme « principe d’incertitude », Cairn. Erès – Le Coq-héron, 2014/1 n° 216 – pages 114 à 116

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