Former n’est pas transmettre
Malaise dans la construction identitaire des psychologues
Par Ludovic Gadeau
Evolution des logiques de fonctionnement à l’université et des incidences que cela a sur la formation des psychologues :
- Depuis la loi Pécresse (Loi LRU de 2007), Le fonctionnement des universités a considérablement évolué :
- Pour une meilleure lisibilité internationale, les établissements et les laboratoires doivent se regrouper en des ensembles de plus en plus gros. Ils sont mis en compétition pour obtenir des dotations de type Labex ou Idex qui assurent le fonctionnement des laboratoires. La principale source d’évaluation des laboratoires et des chercheurs, ce sont les publications.
- Les enseignants-chercheurs sont évalués essentiellement à partir de leurs travaux de recherche et pas du tout à partir de leur investissement pédagogique. Et les travaux de recherches sont évalués à partir des revues dans lesquels ces travaux sont publiés. Il existe une liste référencée des revues dites à comité de lecture (il y en a 300 dont moins de 5% en langue française). Ces revues sont dans leur extrême majorité des revues anglo-saxonnes. Cela signifie que pour pouvoir publier dans ces revues, il faut accepter les standards de la recherche tels qu’ils sont prônés par ces revues. L’indice h (indice de Hirsch) est un calcul savant du nombre de citations et du nombre d’articles publiés. Plus l’indice est élevé et plus la valeur du chercheur est réputée grande. Mais cet indice ne dit pas si on est cité pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ce qui le rend en partie absurde… Tout cela conduit à devoir développer des stratégies pour « exister » et se rendre « visible »….
- Il n’existe aucun statut prévu pour les enseignants-chercheurs psychologues praticiens. Cela signifie que de nombreux enseignants en clinique n’ont aucune pratique ou alors ont cessé le contact avec le terrain (autrement que par la recherche) à leur entrée dans la fonction d’enseignant-chercheur.
- Disparition progressive de la psychanalyse à l’université : aujourd’hui sur les 35 universités françaises, seulement 12 ont un laboratoire de recherche où la psychanalyse est la théorie de référence (Aix-Marseille, Lille 3, Lyon 2, Montpellier 3 Paris 5, 7, 8, 10 et 13), Rennes 2, Strasbourg, Toulouse 2).
- En 2016-17 : délivrance au plan national de 4967 diplômes de psychologie dont 2366 en clinique (il y avait en 2000 1595 places de master 2 clinique). Au niveau local, en clinique : dépt 73 = 85 ; dépt 38 = 85 ; dépt 69 = 175+30 sans compter les masters recherche (en santé, intervention, etc = 110. Total en clinique sur la région = 400. Se pose la question de l’insertion professionnelle des étudiants en raison de la faible adéquation entre le nombre de diplômés et le nombre d’emplois existants. Il n’y a aucune instance nationale qui vienne réguler le nombre de diplômés au regard du marché de l’emploi.
- Avec la réforme LMD, sans qu’on en parle beaucoup, la valeur symbolique de la formation des psychologues s’est artificiellement dégradée depuis la mise en place de l’harmonisation européenne des diplômes. Jusqu’en 2002, le diplôme de psychologue était de niveau 3ème cycle. Depuis, il est devenu un diplôme de 2ème cycle.
- Il n’y a pas de définition nationale des compétences professionnelles attendues au niveau Licence, master, et doctorat. Chaque porteur de mention les définit lui-même. Cela produit non seulement une sorte d’hétérogénéité dans les formations. Cela peut conduire à une hyperspécialisation des parcours de formation et faire des psychologues spécialisés dans un domaine et partiellement ignorants des gestes professionnels de base. Il y a là le risque de rabattre la profession de psychologue du côté du psychotechnicien.
La vulnérabilité institutionnelle :
Ajouté à ce contexte général, je voudrais formuler quelques remarques qui de mon point de vue soulignent combien les psychologues sont en position de vulnérabilité institutionnelle.
Je suis frappé par le fait que, souvent, les psychologues doivent réexpliquer ce qu’est leur travail dans les institutions qui les emploient, comme si ça n’était pas compris et lorsque ça l’était (ou paraissait l’être) ça ne tenait pas dans le temps. Comme si au fond la nature du travail des cliniciens ne s’inscrivait nulle part dans l’institution.
Est-ce que cette non-inscription est inhérente à la nature même du travail du psychologue clinicien, auquel cas il doit porter cette croix en permanence (et la formation devrait en tenir compte parce que ce n’est pas facile de se sentir attaqué dans la légitimité de ses interventions et même de sa place).
Ou est-ce que cette non-inscription tient à autre chose : c’est un peu l’hypothèse que je formule. Il me semble que ce défaut d’inscription renvoie à deux choses :
- à une sorte de négativité de l’identité dans l’institution.
- A un amoindrissement des aspects performatifs de la parole des psychologues à un niveau institutionnel/administratif.
La négativité me semble à l’œuvre dans le fait qu’il semble plus facile au psychologue de dire ce qu’il ne fait pas ou n’est pas que de dire ce qu’il est ou fait. Elle est à l’œuvre également en ceci que, bien que le psychologue ait un statut de cadre, rien dans son positionnement institutionnel ne semble se référer à cela : ni la rémunération, ni l’autonomie clinique, ni la responsabilité institutionnelle. La négativité est encore à l’œuvre dans le fait que les cliniciens cultivent une sorte de position d’exception, une position non classable dans l’institution.
Cette négativité se retrouve aussi, me semble-t-il, dans la façon dont la profession essaie de défendre ses intérêts :
- Notre profession a du mal à savoir trouver son unité quand c’est nécessaire pour défendre ses propres intérêts.
- C’est probablement une faiblesse des sciences humaines dans leur ensemble si on les compare aux sciences de la nature : par exemple les physiciens, les biologistes savent mettre en parenthèse le narcissisme des petites différences quand des intérêts supérieurs sont en jeu.
Les aspects performatifs de la parole du psychologue au niveau institutionnel sont amoindris parce que notre profession ne parvient pas à franchir le cap de la mise en place d’une autorité de régulation de l’exercice professionnel et à se faire représenter par elle.
Les psychologues ont besoin, pour travailler dans les institutions, d’une certaine mise en sécurité psychique, et cette sécurité n’est pas toujours assurée par l’employeur. Nous devons la garantir nous-mêmes.
La vulnérabilité institutionnelle serait atténuée et l’identité professionnelle renforcée :
- Si le code de déontologie était opposable sur le plan juridique.
- Si la profession se dotait d’une instance (ordre ou haute autorité) qui représente la profession face aux pouvoirs publics et soit le garant du respect du code de déontologie.
- Si on découplait les titres et diplômes du droit d’exercer : les diplômes sont attribués par l’université et de droit d’exercer serait une prérogative de cette instance (ce qui permettrait aux professionnels d’avoir un droit de regard sur les formations dispensées et d’en assurer l’homogénéité du point de vue des compétences attendues).
Est-ce que notre profession est parvenue à un degré de maturité suffisant pour se souder autour d’objectifs communs de cette sorte ? Je laisse la question ouverte.
L’identité professionnelle devrait se construire à partir de deux pôles :
- Celui de la filiation (transmission)
- Celui de l’affiliation (instance de référence professionnelle, haut conseil, etc.).
Comment différencier formation et transmission ? Ce n’est évidemment pas simple parce qu’il y a des zones de recouvrement entre les deux champs, mais disons que la formation est à la connaissance objectivée ce que la transmission serait au savoir subjectivable. La formation est davantage du côté de l’universitaire et la transmission davantage du côté du praticien référent de stage.
La formation, on voit assez bien ce à quoi ça renvoie : des contenus académiques, un état actualisé des connaissances nécessaires au sujet à former, des méthodes de travail, une évaluation de ce qui est supposé être compris ou maîtrisé.
La transmission, c’est plus compliqué à appréhender : la transmission est un transfert : d’ailleurs Ubertragung, en allemand c’est au sens premier : transmission. La transmission, c’est un transfert croisé, dans lequel quelque chose est mis en circulation entre le maître et l’élève. Entre le maître-formateur et l’élève transite une sorte de concentré d’expérience qui est attente de décompactage (ce serait ça le savoir subjectivable). Ce quelque chose qui se transfert, c’est à mon sens un héritage, c’est-à-dire quelque chose qui vient du passé et devient un passé commun, un passé qui fait communauté, un passé présentifié qui assure une filiation à celui qui le reçoit. Transmettre, c’est inscrire l’autre dans une filiation. La filiation c’est le versant diachronique de l’identité professionnelle.
Mais l’identité professionnelle a besoin aussi de son correspondant dans la réalité objective : c’est l’affiliation. L’affiliation c’est le versant synchronique de l’identité professionnelle. L’affiliation identitaire serait favorisée par l’existence d’une instance commune (haute autorité ou conseil de l’ordre) en ce qu’elle pourrait veiller aux intérêts et aux exigences de la profession et ainsi assurer à la génération à venir la protection nécessaire à l’exercice de la profession.
Former n’est pas transmettre
Malaise dans la construction identitaire des psychologues
Par Ludovic Gadeau
Evolution des logiques de fonctionnement à l’université et des incidences que cela a sur la formation des psychologues :
- Depuis la loi Pécresse (Loi LRU de 2007), Le fonctionnement des universités a considérablement évolué :
- Pour une meilleure lisibilité internationale, les établissements et les laboratoires doivent se regrouper en des ensembles de plus en plus gros. Ils sont mis en compétition pour obtenir des dotations de type Labex ou Idex qui assurent le fonctionnement des laboratoires. La principale source d’évaluation des laboratoires et des chercheurs, ce sont les publications.
- Les enseignants-chercheurs sont évalués essentiellement à partir de leurs travaux de recherche et pas du tout à partir de leur investissement pédagogique. Et les travaux de recherches sont évalués à partir des revues dans lesquels ces travaux sont publiés. Il existe une liste référencée des revues dites à comité de lecture (il y en a 300 dont moins de 5% en langue française). Ces revues sont dans leur extrême majorité des revues anglo-saxonnes. Cela signifie que pour pouvoir publier dans ces revues, il faut accepter les standards de la recherche tels qu’ils sont prônés par ces revues. L’indice h (indice de Hirsch) est un calcul savant du nombre de citations et du nombre d’articles publiés. Plus l’indice est élevé et plus la valeur du chercheur est réputée grande. Mais cet indice ne dit pas si on est cité pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ce qui le rend en partie absurde… Tout cela conduit à devoir développer des stratégies pour « exister » et se rendre « visible »….
- Il n’existe aucun statut prévu pour les enseignants-chercheurs psychologues praticiens. Cela signifie que de nombreux enseignants en clinique n’ont aucune pratique ou alors ont cessé le contact avec le terrain (autrement que par la recherche) à leur entrée dans la fonction d’enseignant-chercheur.
- Disparition progressive de la psychanalyse à l’université : aujourd’hui sur les 35 universités françaises, seulement 12 ont un laboratoire de recherche où la psychanalyse est la théorie de référence (Aix-Marseille, Lille 3, Lyon 2, Montpellier 3 Paris 5, 7, 8, 10 et 13), Rennes 2, Strasbourg, Toulouse 2).
- En 2016-17 : délivrance au plan national de 4967 diplômes de psychologie dont 2366 en clinique (il y avait en 2000 1595 places de master 2 clinique). Au niveau local, en clinique : dépt 73 = 85 ; dépt 38 = 85 ; dépt 69 = 175+30 sans compter les masters recherche (en santé, intervention, etc = 110. Total en clinique sur la région = 400. Se pose la question de l’insertion professionnelle des étudiants en raison de la faible adéquation entre le nombre de diplômés et le nombre d’emplois existants. Il n’y a aucune instance nationale qui vienne réguler le nombre de diplômés au regard du marché de l’emploi.
- Avec la réforme LMD, sans qu’on en parle beaucoup, la valeur symbolique de la formation des psychologues s’est artificiellement dégradée depuis la mise en place de l’harmonisation européenne des diplômes. Jusqu’en 2002, le diplôme de psychologue était de niveau 3ème cycle. Depuis, il est devenu un diplôme de 2ème cycle.
- Il n’y a pas de définition nationale des compétences professionnelles attendues au niveau Licence, master, et doctorat. Chaque porteur de mention les définit lui-même. Cela produit non seulement une sorte d’hétérogénéité dans les formations. Cela peut conduire à une hyperspécialisation des parcours de formation et faire des psychologues spécialisés dans un domaine et partiellement ignorants des gestes professionnels de base. Il y a là le risque de rabattre la profession de psychologue du côté du psychotechnicien.
La vulnérabilité institutionnelle :
Ajouté à ce contexte général, je voudrais formuler quelques remarques qui de mon point de vue soulignent combien les psychologues sont en position de vulnérabilité institutionnelle.
Je suis frappé par le fait que, souvent, les psychologues doivent réexpliquer ce qu’est leur travail dans les institutions qui les emploient, comme si ça n’était pas compris et lorsque ça l’était (ou paraissait l’être) ça ne tenait pas dans le temps. Comme si au fond la nature du travail des cliniciens ne s’inscrivait nulle part dans l’institution.
Est-ce que cette non-inscription est inhérente à la nature même du travail du psychologue clinicien, auquel cas il doit porter cette croix en permanence (et la formation devrait en tenir compte parce que ce n’est pas facile de se sentir attaqué dans la légitimité de ses interventions et même de sa place).
Ou est-ce que cette non-inscription tient à autre chose : c’est un peu l’hypothèse que je formule. Il me semble que ce défaut d’inscription renvoie à deux choses :
- à une sorte de négativité de l’identité dans l’institution.
- A un amoindrissement des aspects performatifs de la parole des psychologues à un niveau institutionnel/administratif.
La négativité me semble à l’œuvre dans le fait qu’il semble plus facile au psychologue de dire ce qu’il ne fait pas ou n’est pas que de dire ce qu’il est ou fait. Elle est à l’œuvre également en ceci que, bien que le psychologue ait un statut de cadre, rien dans son positionnement institutionnel ne semble se référer à cela : ni la rémunération, ni l’autonomie clinique, ni la responsabilité institutionnelle. La négativité est encore à l’œuvre dans le fait que les cliniciens cultivent une sorte de position d’exception, une position non classable dans l’institution.
Cette négativité se retrouve aussi, me semble-t-il, dans la façon dont la profession essaie de défendre ses intérêts :
- Notre profession a du mal à savoir trouver son unité quand c’est nécessaire pour défendre ses propres intérêts.
- C’est probablement une faiblesse des sciences humaines dans leur ensemble si on les compare aux sciences de la nature : par exemple les physiciens, les biologistes savent mettre en parenthèse le narcissisme des petites différences quand des intérêts supérieurs sont en jeu.
Les aspects performatifs de la parole du psychologue au niveau institutionnel sont amoindris parce que notre profession ne parvient pas à franchir le cap de la mise en place d’une autorité de régulation de l’exercice professionnel et à se faire représenter par elle.
Les psychologues ont besoin, pour travailler dans les institutions, d’une certaine mise en sécurité psychique, et cette sécurité n’est pas toujours assurée par l’employeur. Nous devons la garantir nous-mêmes.
La vulnérabilité institutionnelle serait atténuée et l’identité professionnelle renforcée :
- Si le code de déontologie était opposable sur le plan juridique.
- Si la profession se dotait d’une instance (ordre ou haute autorité) qui représente la profession face aux pouvoirs publics et soit le garant du respect du code de déontologie.
- Si on découplait les titres et diplômes du droit d’exercer : les diplômes sont attribués par l’université et de droit d’exercer serait une prérogative de cette instance (ce qui permettrait aux professionnels d’avoir un droit de regard sur les formations dispensées et d’en assurer l’homogénéité du point de vue des compétences attendues).
Est-ce que notre profession est parvenue à un degré de maturité suffisant pour se souder autour d’objectifs communs de cette sorte ? Je laisse la question ouverte.
L’identité professionnelle devrait se construire à partir de deux pôles :
- Celui de la filiation (transmission)
- Celui de l’affiliation (instance de référence professionnelle, haut conseil, etc.).
Comment différencier formation et transmission ? Ce n’est évidemment pas simple parce qu’il y a des zones de recouvrement entre les deux champs, mais disons que la formation est à la connaissance objectivée ce que la transmission serait au savoir subjectivable. La formation est davantage du côté de l’universitaire et la transmission davantage du côté du praticien référent de stage.
La formation, on voit assez bien ce à quoi ça renvoie : des contenus académiques, un état actualisé des connaissances nécessaires au sujet à former, des méthodes de travail, une évaluation de ce qui est supposé être compris ou maîtrisé.
La transmission, c’est plus compliqué à appréhender : la transmission est un transfert : d’ailleurs Ubertragung, en allemand c’est au sens premier : transmission. La transmission, c’est un transfert croisé, dans lequel quelque chose est mis en circulation entre le maître et l’élève. Entre le maître-formateur et l’élève transite une sorte de concentré d’expérience qui est attente de décompactage (ce serait ça le savoir subjectivable). Ce quelque chose qui se transfert, c’est à mon sens un héritage, c’est-à-dire quelque chose qui vient du passé et devient un passé commun, un passé qui fait communauté, un passé présentifié qui assure une filiation à celui qui le reçoit. Transmettre, c’est inscrire l’autre dans une filiation. La filiation c’est le versant diachronique de l’identité professionnelle.
Mais l’identité professionnelle a besoin aussi de son correspondant dans la réalité objective : c’est l’affiliation. L’affiliation c’est le versant synchronique de l’identité professionnelle. L’affiliation identitaire serait favorisée par l’existence d’une instance commune (haute autorité ou conseil de l’ordre) en ce qu’elle pourrait veiller aux intérêts et aux exigences de la profession et ainsi assurer à la génération à venir la protection nécessaire à l’exercice de la profession.
Former n’est pas transmettre
Malaise dans la construction identitaire des psychologues
Par Ludovic Gadeau
Evolution des logiques de fonctionnement à l’université et des incidences que cela a sur la formation des psychologues :
- Depuis la loi Pécresse (Loi LRU de 2007), Le fonctionnement des universités a considérablement évolué :
- Pour une meilleure lisibilité internationale, les établissements et les laboratoires doivent se regrouper en des ensembles de plus en plus gros. Ils sont mis en compétition pour obtenir des dotations de type Labex ou Idex qui assurent le fonctionnement des laboratoires. La principale source d’évaluation des laboratoires et des chercheurs, ce sont les publications.
- Les enseignants-chercheurs sont évalués essentiellement à partir de leurs travaux de recherche et pas du tout à partir de leur investissement pédagogique. Et les travaux de recherches sont évalués à partir des revues dans lesquels ces travaux sont publiés. Il existe une liste référencée des revues dites à comité de lecture (il y en a 300 dont moins de 5% en langue française). Ces revues sont dans leur extrême majorité des revues anglo-saxonnes. Cela signifie que pour pouvoir publier dans ces revues, il faut accepter les standards de la recherche tels qu’ils sont prônés par ces revues. L’indice h (indice de Hirsch) est un calcul savant du nombre de citations et du nombre d’articles publiés. Plus l’indice est élevé et plus la valeur du chercheur est réputée grande. Mais cet indice ne dit pas si on est cité pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ce qui le rend en partie absurde… Tout cela conduit à devoir développer des stratégies pour « exister » et se rendre « visible »….
- Il n’existe aucun statut prévu pour les enseignants-chercheurs psychologues praticiens. Cela signifie que de nombreux enseignants en clinique n’ont aucune pratique ou alors ont cessé le contact avec le terrain (autrement que par la recherche) à leur entrée dans la fonction d’enseignant-chercheur.
- Disparition progressive de la psychanalyse à l’université : aujourd’hui sur les 35 universités françaises, seulement 12 ont un laboratoire de recherche où la psychanalyse est la théorie de référence (Aix-Marseille, Lille 3, Lyon 2, Montpellier 3 Paris 5, 7, 8, 10 et 13), Rennes 2, Strasbourg, Toulouse 2).
- En 2016-17 : délivrance au plan national de 4967 diplômes de psychologie dont 2366 en clinique (il y avait en 2000 1595 places de master 2 clinique). Au niveau local, en clinique : dépt 73 = 85 ; dépt 38 = 85 ; dépt 69 = 175+30 sans compter les masters recherche (en santé, intervention, etc = 110. Total en clinique sur la région = 400. Se pose la question de l’insertion professionnelle des étudiants en raison de la faible adéquation entre le nombre de diplômés et le nombre d’emplois existants. Il n’y a aucune instance nationale qui vienne réguler le nombre de diplômés au regard du marché de l’emploi.
- Avec la réforme LMD, sans qu’on en parle beaucoup, la valeur symbolique de la formation des psychologues s’est artificiellement dégradée depuis la mise en place de l’harmonisation européenne des diplômes. Jusqu’en 2002, le diplôme de psychologue était de niveau 3ème cycle. Depuis, il est devenu un diplôme de 2ème cycle.
- Il n’y a pas de définition nationale des compétences professionnelles attendues au niveau Licence, master, et doctorat. Chaque porteur de mention les définit lui-même. Cela produit non seulement une sorte d’hétérogénéité dans les formations. Cela peut conduire à une hyperspécialisation des parcours de formation et faire des psychologues spécialisés dans un domaine et partiellement ignorants des gestes professionnels de base. Il y a là le risque de rabattre la profession de psychologue du côté du psychotechnicien.
La vulnérabilité institutionnelle :
Ajouté à ce contexte général, je voudrais formuler quelques remarques qui de mon point de vue soulignent combien les psychologues sont en position de vulnérabilité institutionnelle.
Je suis frappé par le fait que, souvent, les psychologues doivent réexpliquer ce qu’est leur travail dans les institutions qui les emploient, comme si ça n’était pas compris et lorsque ça l’était (ou paraissait l’être) ça ne tenait pas dans le temps. Comme si au fond la nature du travail des cliniciens ne s’inscrivait nulle part dans l’institution.
Est-ce que cette non-inscription est inhérente à la nature même du travail du psychologue clinicien, auquel cas il doit porter cette croix en permanence (et la formation devrait en tenir compte parce que ce n’est pas facile de se sentir attaqué dans la légitimité de ses interventions et même de sa place).
Ou est-ce que cette non-inscription tient à autre chose : c’est un peu l’hypothèse que je formule. Il me semble que ce défaut d’inscription renvoie à deux choses :
- à une sorte de négativité de l’identité dans l’institution.
- A un amoindrissement des aspects performatifs de la parole des psychologues à un niveau institutionnel/administratif.
La négativité me semble à l’œuvre dans le fait qu’il semble plus facile au psychologue de dire ce qu’il ne fait pas ou n’est pas que de dire ce qu’il est ou fait. Elle est à l’œuvre également en ceci que, bien que le psychologue ait un statut de cadre, rien dans son positionnement institutionnel ne semble se référer à cela : ni la rémunération, ni l’autonomie clinique, ni la responsabilité institutionnelle. La négativité est encore à l’œuvre dans le fait que les cliniciens cultivent une sorte de position d’exception, une position non classable dans l’institution.
Cette négativité se retrouve aussi, me semble-t-il, dans la façon dont la profession essaie de défendre ses intérêts :
- Notre profession a du mal à savoir trouver son unité quand c’est nécessaire pour défendre ses propres intérêts.
- C’est probablement une faiblesse des sciences humaines dans leur ensemble si on les compare aux sciences de la nature : par exemple les physiciens, les biologistes savent mettre en parenthèse le narcissisme des petites différences quand des intérêts supérieurs sont en jeu.
Les aspects performatifs de la parole du psychologue au niveau institutionnel sont amoindris parce que notre profession ne parvient pas à franchir le cap de la mise en place d’une autorité de régulation de l’exercice professionnel et à se faire représenter par elle.
Les psychologues ont besoin, pour travailler dans les institutions, d’une certaine mise en sécurité psychique, et cette sécurité n’est pas toujours assurée par l’employeur. Nous devons la garantir nous-mêmes.
La vulnérabilité institutionnelle serait atténuée et l’identité professionnelle renforcée :
- Si le code de déontologie était opposable sur le plan juridique.
- Si la profession se dotait d’une instance (ordre ou haute autorité) qui représente la profession face aux pouvoirs publics et soit le garant du respect du code de déontologie.
- Si on découplait les titres et diplômes du droit d’exercer : les diplômes sont attribués par l’université et de droit d’exercer serait une prérogative de cette instance (ce qui permettrait aux professionnels d’avoir un droit de regard sur les formations dispensées et d’en assurer l’homogénéité du point de vue des compétences attendues).
Est-ce que notre profession est parvenue à un degré de maturité suffisant pour se souder autour d’objectifs communs de cette sorte ? Je laisse la question ouverte.
L’identité professionnelle devrait se construire à partir de deux pôles :
- Celui de la filiation (transmission)
- Celui de l’affiliation (instance de référence professionnelle, haut conseil, etc.).
Comment différencier formation et transmission ? Ce n’est évidemment pas simple parce qu’il y a des zones de recouvrement entre les deux champs, mais disons que la formation est à la connaissance objectivée ce que la transmission serait au savoir subjectivable. La formation est davantage du côté de l’universitaire et la transmission davantage du côté du praticien référent de stage.
La formation, on voit assez bien ce à quoi ça renvoie : des contenus académiques, un état actualisé des connaissances nécessaires au sujet à former, des méthodes de travail, une évaluation de ce qui est supposé être compris ou maîtrisé.
La transmission, c’est plus compliqué à appréhender : la transmission est un transfert : d’ailleurs Ubertragung, en allemand c’est au sens premier : transmission. La transmission, c’est un transfert croisé, dans lequel quelque chose est mis en circulation entre le maître et l’élève. Entre le maître-formateur et l’élève transite une sorte de concentré d’expérience qui est attente de décompactage (ce serait ça le savoir subjectivable). Ce quelque chose qui se transfert, c’est à mon sens un héritage, c’est-à-dire quelque chose qui vient du passé et devient un passé commun, un passé qui fait communauté, un passé présentifié qui assure une filiation à celui qui le reçoit. Transmettre, c’est inscrire l’autre dans une filiation. La filiation c’est le versant diachronique de l’identité professionnelle.
Mais l’identité professionnelle a besoin aussi de son correspondant dans la réalité objective : c’est l’affiliation. L’affiliation c’est le versant synchronique de l’identité professionnelle. L’affiliation identitaire serait favorisée par l’existence d’une instance commune (haute autorité ou conseil de l’ordre) en ce qu’elle pourrait veiller aux intérêts et aux exigences de la profession et ainsi assurer à la génération à venir la protection nécessaire à l’exercice de la profession.
Grenoble, novembre 2016
Ludovic Gadeau