Un cadre au don, une limite à la dette, Combien/Comment « ça » coûte ?
18ème journée, et 20 ans du CPCI. Pour honorer ce bel âge, nous nous sommes fendus de la création d’un annuaire, permettant de répertorier les psychologues par compétences/spécificités. Nous sommes heureux de pouvoir aujourd’hui vous annoncer son existence enfin finalisée. N’hésitez pas à nous contacter pour plus d’informations.
Le CPCI tient aux forces vives d’une poignée de psychologues désireux de continuer à faire vivre un endroit commun aux psychologues, pour soutenir une dynamique de pensée à partir de nos pratiques.
Tenir dans la durée l’engagement associatif, donner de son temps, gratuitement, de son temps libre, si précieux, donner de soi. Au bout d’un moment, la thématique du don et de la dette ne pouvait pas ne pas s’inviter à la table de nos réflexions.
En outre, cette dimension ne manque pas de résonner chez le psychologue. Elle convoque notre désir de transmission, de réparation, notre intérêt pour les liens. Nous avons tourné autour lors de nos dernières journées, Travailler ensemble nous tue, nous séparer est mortel en 2016, Malaise dans la transmission en 2017, aux frontières de l’intime en 2018, expérience de l’incertitude en 2022.
J’ai pensé à la remarque de François D Camps s’adressant aux maitres de stage des étudiants du master 2 de Lyon 2 : « La profession s’éteindra d’elle-même dès lors qu’il n’y aura plus de psychologues pour accueillir des stagiaires ».
Le don et la dette s’inscrivent aux fondements des relations interpersonnelles. Donner oblige, recevoir engage également, ainsi d’une réciprocité. Jusqu’où ? A quel prix ? Combien/comment ça coute ?
Nous avons demandé à Iwan Barth, chercheur formateur en sciences sociales et co-fondateur de l’association Champ des possibles, de nous parler de ces questions-là. C’est notre étranger du jour, et je suis sûre qu’il a beaucoup à nous donner.
Le don dans la transmission, le don d’organes, le don chez les mères porteuses, le don d’un nom et d’une famille dans l’adoption, dans le placement. La dette de vie. Le mandat transgénérationnel, le contrat narcissique, être en dette pour des actes commis par ses aïeux, où la dette contractée plus haut s’acquitte plus bas.
Quitter sa terre natale, quitter sa famille, se déraciner, s’exiler, combien ça coute ?
Carelle Vanessa Kumba nous emportera loin de chez nous, sur les traces de ces familles qui traversent la Méditerranée parfois au prix de leur vie pour un ailleurs potentiellement pourvoyeur d’un meilleur ; quand s’entremêlent le don et la dette, devoir, devoir allégeance, devoir réparation.
Le don m’a fait associer sur la dévotion / vocation des soignants à l’hôpital, des enseignants. Ici s’intercale entre celui qui donne et celui qui reçoit, une institution qui tiercéise la relation. Qui rétribue le donneur permettant à celui qui reçoit de ne pas être lesté du poids de la dette, même s’il n’est jamais quitte.
Mais depuis de nombreuses années dans les institutions les nouvelles gouvernances, non contentes de ne pas rétribuer à la hauteur de l’engagement et du labeur engrangé (le niveau d’études des psychologues, par exemple, semblent opérer un déni de reconnaissance. C’est ce que soutient Philippe Chanial dans la revue du Mauss « Marchandiser les soins nuit gravement à la santé », (Mauss : Mouvement anti utilitariste en sciences sociales)
S’ensuit ce paradoxe où au nom de valeurs humaines qui apparaissent aujourd’hui étonnamment désuètes, ceux-ci s’engagent à offrir un service public de qualité sans se voir gratifiés d’une valeur, d’une valorisation, qu’elle soit marchande ou de l’ordre d’une reconnaissance narcissique. Alors les psychologues, les travailleurs sociaux, les infirmiers, les médecins, les enseignants, les magistrats… Quittent le navire, la galère de la fonction publique.
Si donner c’est offrir du bon, donner, pour le psychologue de la fonction publique, c’est parfois, pour paraphraser Lacan, donner à des gens qui n’en veulent pas ce qu’il n’a pas, ainsi de l’état des CMP aujourd’hui, asphyxiés par les demandes d’un côté, ponctionnés de leurs moyens de l’autre. Ou l’éloge de la gratuité, de l’hospitalité, qui constituait le ciment du service public, et permettait à tout un chacun de conserver les habits de la dignité a rendu son âme.
Comme si cet inestimable gratuité du don devenait une duperie parfaitement orchestrée : Si votre enfant a plus de 4 ans, si votre adolescent n’est pas en crise suicidaire, passez votre chemin, vous avez de la chance, les séances chez le psychologue en cabinet sont désormais remboursées !
D’un autre côté, il y a des parents, qui tirent la sonnette d’alarme au CMP mais qui ne veulent pas de ce que l’on voudrait leur offrir, ils ne veulent pas de ce pain-là. Aux abois, ils attendent qu’on leur donne un diagnostic, un médicament, un bilan qui viendra confirmer que leur enfant est atteint d’un handicap dont le substrat est neurologique, un handicap qui commence par un T, où s’invite néanmoins la polysémie t’es, tu es, tué… TOP, TSA, TDAH. Où la demande s’inverse. Entre les deux il y a « maldonne ». Ils ne veulent pas de ce qu’on voudrait leur donner, dans cet endroit particulier où le soin est invisible et pour un certain nombre d’entre eux, incompréhensible : cette émancipation qui ne peut se soutenir que d’une introspection dont l’aiguillon demeure, en quoi je participe à ce qui m’arrive.
D’autres fois, le couteau sous la gorge, ils se présentent, obligés par les services sociaux, et nous voilà, nous-mêmes obligés, pour un service longue durée, où tout sera mis en œuvre pour que rien ne bouge. Ceux-là pour qui dans leur monde, mieux vaut un mauvais objet qui prive qu’un bon objet qui pourrait manquer. La dette comme reconnaissance de la dépendance et des limites de notre toute puissance.
Alors ils décampent, ne préviennent pas, ne disent pas aurevoir.
Et puis, comme ils ne paient pas, ils peuvent considérer que ça n’a pas de valeur. Parce que c’est gratuit, ça ne vaut rien. On peut être vaurien.
On peut parfois être saisi par l’ingratitude manifeste, sous tendue par l’envie: Vols, destruction de matériel dans les établissements publics, agressions du personnel, disqualification. Où l’usager devient consommateur d’un produit auquel il a droit, y compris celui de l’endommager.
Fort heureusement, le masochisme ayant ses limites, il y a tout ceux qui témoignent de leur reconnaissance qui des pâtisseries pour l’Aïd, ou des chocolats pour Noël, glissent un merci sur le seuil au moment de se dire au revoir.
Car dans cette histoire, chacun y met, tout son cœur…
Puisque de cœur il s’agit aussi, et surtout, ici, Claire Profit sous l’égide des psys du cœur, nous contera ce qu’il en est lorsque l’on est psychologue bénévole et qu’on a choisi de donner de son temps, gratuitement, pour écouter des sujets qui viennent y déposer leur souffrance. Que devient la dette ?
Car le paiement est au cœur du sujet. Dans l’exercice libéral, le paiement s’impose/s’interpose entre le psychologue et son patient.
C’est ce dont nous parlerons nos trois collègues lyonnais au travers du jeu, dans la relation transféro contre transférentielle du don et de la dette.
Axelle Mars, Présidente du CPCI