Texte poétique par Myriam Germain

Textes créés in vivo lors de

la Journée Annuelle des Psychologues

portant sur le thème de l’Incertitude.

Grenoble le 20 mai 2022

Au fil de mon écoute flottante des différents intervenants d’un colloque, les bribes de phrases, saisies de ci de là, se tissent en textes poétiques, malgré moi et dans l’incertitude de ce qui surgira de cet agencement improbable. J’ose partager à chaud, sitôt l’intervention finie, comme en hommage à l’intervenant, espérant qu’il ne sente pas trahi par la liberté que s’autorisent les mots qui me traversent.

Myriam Germain

Introduction de Anne Jambrésic

Turbulés par la crise

Les instituts vacillent.

Alors nous sortîmes de la caverne

Pour affronter le cruel des séparations

Et s’en sortir sans sortir.

Bion ouvre à la « capacité négative »

Poésie du mystère au-delà de toute raison ;

Le psy s’invente un refuge, se laissant suspendre

Se laissant surprendre,

Tel l’acrobate s’accrochant à la foi ;

En l’autre, en la vie, en soi, en nos pratiques.

Qui est le plus patient, de soi ou de l’autre ?

« Tant qu’on est mortels, on ne peut pas vraiment être tranquilles », conclut Woody.

Elodie Camier-Lemoine

En éthique et cinéthique

Face à l’incertitude

Coroller les mers et gences

Faire plus, more and more

Rassuré par la science.

Eh ! Take care ! Care, une notion,

Que dis-je ? Une philosophie !

L’équipe éthique du Care a peur des peurs

De ceux qui veulent médicaliser

La gestation et la passion.

Quelle place à l’incertitude ?

J’en sais rien

Quelle place à l’autre ?

J’donne ma langue au chagrin.

Des hics en tics et pistémiques

Surgit essentiellement le sens

Du soin, à distance ou en présence ;

Quid du sixième sens,

Face au savoir en compétences

D’un soin aux accents incertains

Reçus sans sens par le patient ?

Brandir la connaissance de l’ipséité ?

Se laisser à une co-naissance en altérité ?

Alors, place ! Place aux pourquois sans réponses

Place ! Place au singulier du mystère renouvelé

Place ! Place, à chacun qui il est.

Eh ! Y’a quelqu’un ? Y’a quelqu’un ?………..

J’suis tout seul ?

Anna Kata-Christophe et Marie-Thérèse Morat

Et, pendant ce temps…

A la clinique, dans un no man’s land du savoir

Une plate et forme au téléphone

Reçoit l’étrange, même les urgences ;

Accueillir l’incertitude, et réduire l’activité

Ouvre des chemins de traverse

En proximité, en humanité, en créations, en liens,

Hors du draconien inhumain.

L’autoritarisme reviendra en force

Intrusant cet environnement apaisé, sécurisant.

La science, l’industrie triomphent en effraction

Et tandis que l’institution fait silence

Les écrans font remparts.

Où est passée la douce incertitude

Dans nos services malmenés ?

Axelle Mars

Ligne de crête où vaciller

A l’orée de la chute

Le désordre des choses

Nous rappelle à l’ordre.

Nos prêts-à-pratiquer deviennent obsolètes ;

Confiné, notre corps se rassemble

Sans l’autre.

Les pro-tocoles et cédures

Dans leur course folle au contrôle

Brident le vertige vivant du risque.

Alors, vite, se tromper. Se tromper encore. Se tromper mieux.

Traversant le brouillard, en émerger,

Peut-être un peu grandi.

De quoi parle ce besoin malade de certitudes ?

Et si vivre l’incertitude devenait critère de santé ?

TDH, HPI et TOC, TSA, TSA

Tais le Ça !

Il est dangereux le Ça, dit Freud,

Car, « là où était du Ça, doit advenir du Moi ».

Se tenant en creux,

Le psychologue ne tranche pas

On lui reprochera

Sa parole reste ouverte

Se propos sans garanties

Il est là. Se laissant éprouver

Au bord de l’autre éprouvé par la vie

Ou de celui à l’heure du grand voyage.

Se laisser atteindre en métissage,

Se laisser toucher, et choisir d’embarquer !

Ouvrons l’accès à l’inconscient

Le sien, le mien, celui qui se tisse entre lui et moi

Par la grâce des éprouvés primitifs

Hors perspective moniste du conscient.

Alors, l’instabilité tectonique pourrait bien provoquer

Le déplacement, celui qui dénoue et permet.

Il nous revient de suspendre méthodiquement ce que l’on croit savoir

En apprenant à ne pas comprendre,

A surtout ne pas être au rendez-vous du supposé répondant.

Biffons les interprétations bou-chons, ou bi-dons, ou bon-bons

Cultivons les bi-donnantes

Quand jaillit le rire partagé entre psys

Et avec nos patients !

Au Principe, l’incertitude – par Myriam Germain

Au Principe, l’incertitude
par Myriam GERMAIN
Lors de la Journée Annuelle des Psychologues de 2022

Introduction

  • (Ambition de la majuscule à) Principe dans le titre : renvoi à la Genèse, comme si un Principe créateur avait inscrit l’incertitude dans les fondements de la vie d’un être humain ; on pourrait ajouter aux dix commandements : « tu ne pourras percer le secret de la mort (ni la date ni l’heure de la tienne) ; tu ignoreras ce qui t’attend dans ton parcours de vie ; tu devras t’adapter à ce que tu auras à vivre ; tu toucheras du doigt les limites de la volonté propre » etc…
  • Claire Marin, philosophe (Vivre autrement, juin 21, edition le Monde, collection l’Aube) dit que la rupture s’expérimente désormais sur tous les plans de l’existence. « Il y a peu de domaines stables, solides, sur lesquels nous pouvons compter avec certitude ».

« D’ailleurs, au moment où je vous parle, la terre pourrait bien se déchirer sous nos pieds… »

Et pourvu que je tienne la route le temps de l’intervention, que les mots viennent à mon insu malgré moi et puissent-ils parler en eux-mêmes…

Questionnement : L’incertitude comme cadeau ? Se libérer des savoirs/certitudes/croyances que l’on a prises pour la réalité et qui empêchent ? Sortir de l’illusion terrifiante d’un contrôle que nous aurions sur les choses, avec la culpabilité à la clé…

Incertitude en tant qu’être humain faisant partie de l’histoire de l’Humanité

  • Oubli de cette dimension par les politiques quand ils sont confrontés à un inquiétant Non Savoir, et renvoyés à leur impuissance par rapport à tout ce qui échappe (pandémie). Oubli de cette dimension par les sociétés dites modernes qui voudraient tellement tenir éloignée la mort et qui se nourrissent de peurs.
  • Chacun croit savoir, le scientifique sait ce qu’il ne sait pas. Etienne Klein (physicien ; les tracts de Gallimard) « croire savoir alors même qu’on sait ne pas savoir, telle me semble être devenue la véritable pathologie du savoir ». Ce qu’on croit savoir peut devenir certitude illusoire et rassurante. Les réseaux sociaux participent à cet autre statut du savoir.
  • Il est vrai également qu’on peut dire tout et son contraire et que les deux versions peuvent être tout aussi vraies. Ce qui est vrai un jour peut ne plus l’être le lendemain, ce qui est vrai pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre (et quelle bonne nouvelle !…)

Incertitude en tant que personne singulière engagée dans un parcours propre et singulier

  • Il y a tout ce qui nous échappe dans nos engagements/choix/orientations de vie… le puzzle qui se forme après coup, nos choix s’éclairent a posteriori… (comprendre pourquoi avoir pris telle décision après coup, les choses prennent souvent leur cohérence à notre insu)
  • Nous sommes complexes ; on peut aimer et ne pas aimer dans le même temps (cela peut être vécu comme un paradoxe et non une contradiction générant du conflit intérieur)
  • Ce qui peut faire boussole deviendrait « le vrai pour soi à un moment donné », ce qui suppose d’écouter – le corps, ce que ça dit dedans ; le corps, lui, il sait –

Incertitude en tant que professionnelle de la psychanalyse

  • La part de l’autre, ce qui nous échappe dans la rencontre, la place de l’Inconscient, de ce qui se joue pour l’un, pour l’autre, dans l’interaction (à quel « endroit » l’autre ou la relation avec l’autre, vient-il me chercher, à mon insu ?)
  • Bien sûr, les praticiens que nous sommes travaillons avec quelques fondements, ou repères de Posture, l’Ecoute (« attention flottante » freudienne1) de l’autre dans ce qu’il dit et plus encore ce qu’il ne dit pas, pour qu’il puisse s’entendre dire – ou s’entendre ne pas dire.
  • Le principe d’incertitude permet de : Se laisser soi-même, en tant que psychanalyste, en Entendre quelque chose, et peut-être proposer ces mots qui nous traversent et qui pourraient parler, car ces mots avant tout s’éprouvent dans cet imprévisible lien d’inconscient à inconscient.

L’incertitude dans l’exercice de la psychanalyse

L’incertitude ne saurait se vivre sans quelques fondements, ou repères, qui offrent une certaine « garantie » de pouvoir être à l’autre un temps donné, à une place donnée.

Repères de posture

  • « Recevoir », « accueillir », être à l’autre, sans attente ni préjugés ni a priori, « accueillir » sa parole, son silence, sa  vibration (ce qui émane de lui de non visible, non repérable dans l’instant) et tenir sa propre place le temps de la séance, avec la légitimité que l’on s’accorde, « prêtant » à l’autre son image, ce qu’il perçoit de soi et dont il fait un support transférentiel (moyennant le paiement de tout ce travail qui « vaut ».) Se laisser touché, sans se laisser embarquer.

Je ressens plus que jamais – en accord avec ce que pouvait en dire et en écrire Joyce Mac Dougall – l’engagement de mon corps dans le travail analytique, tout autant que l’engagement du corps de l’autre, qu’il soit assis en face à face ou sur un divan, que nous soyons statiques ou qu’il s’autorise (et je l’y invite parfois, selon) à bouger, déambuler, s’assoir par terre, passer du divan au fauteuil…) D’ailleurs, j’ai la chance de frissonner qd l’autre dit vraisemblablement quelque chose qui lui parle, indicateur pour tenter d’en entendre quelque chose ; j’éprouve physiquement le serrement de son angoisse dans ma poitrine, le vertige ou la peur qu’il évoque ressentir… Prêterais-je mon corps à l’espace/temps du travail ?

  • Au-delà d’une fatigue éventuelle qui peut se ressentir lors de longues journées, ou liée au sentiment que l’autre dit et redit en boucle de mêmes propos depuis des semaines, il suffit que quelque chose me touche chez lui à un moment imprévisible, une façon de s’assoir, un geste, une mimique, une intonation, pour que je devienne inconditionnellement présente à lui et à sa parole, ou à ce qui semble se jouer au-delà, ou en deça, de sa parole…

Puissè-je rester touchée jusqu’à la fin de mes jours par ce que vit l’autre, sans pour autant me laisser embarquer, tenant ma place en point d’appui, le rôle de « garante », dans une bienveillance exigeante, qui pourrait lui permettre d’ »explorer » en « sécurité ».

Repères des connaissances :

Les savoirs dans le Non Savoir (écouter sans savoir)

La théorie peut devenir repère dans la pratique si les connaissances/savoirs (nécessairement datés, contextualisés) sont intégrés, digérés, remaniés par l’expérience, les liens entre notions et auteurs…

  • Repère de méthode : l’écoute flottante (écouter sans savoir)

Choisir de s’embarquer avec l’autre (sans se sentir embarqué au risque de perdre pied) sans savoir où il nous emmène (ex de la narration d’un rêve, traversée d’un nuage, image proposée par Philippe Porret, psychanalyste, auteur)

  • L’expérience, quand ça parle et ça agit en direct, – d’inconscient à inconscient ? -, sans le sas réducteur de la compréhension, de l’explication, voire de l’interprétation (Mark Rothko, Rêver de ne pas être » de Stéphane Lambert, édition Arléa, 2018 : Stéphane Lambert s’adresse à Mark Rothko page 35)

Ce qui supposerait d’éprouver autant que faire se peut, libéré – y compris en expérience éphémère – de nos empêchements, de nos filtres, de nos peurs, de nos jugements… Cette peur de l’étrangeté, du vide, de l’opaque…

Me laisser traverser, m’oublier en quelque sorte tout en me sentant suffisamment ancrée au sol et ouvert aux possibles ; mettre l’égo de côté avec sa part de doute sur ma propre valeur, ma propre compétence, la légitimité de mes propos mais aussi laisser de côté le jugement qui empêche, le vouloir pour l’autre, le savoir pour l’autre, le penser pour l’autre. Ecouter pour avoir une chance d’entendre, regarder pour avoir une chance de voir, ressentir pour avoir une chance d’éprouver…

Repères d’intervention : Se laisser dire…

  • Parfois, se laisser dire quand ça parle en nous et qu’on se surprend (presque) soi-même de ces mots qui se forment et qui empruntent notre voix, (quasi) à notre insu. Ces mêmes mots qui, parfois, à ce que paraît en éprouver l’autre dans l’instant, semblent parler le vrai pour lui. L’autre reprend alors avec ses mots, parfois il pleure, ou se défend (ce n’était peut-être pas le moment d’une interprétation). Parfois, il semble se « défaire » quand il y a des mots, des images qui surgissent en lui, qui agissent en direct. Parfois encore, si l’autre entend, selon, par la puissance du mot qu’il reprend, du mot qu’il choisit, ce mot qui nomme, ou l’accueil d’une image qui lui est associé, alors, parfois, ça dénoue en lui, en fulgurance.
  • Ça me pète à la figure comme des bulles de champagne !…

La psychanalyse parle du corps, se vit en corps, parfois en corps à corps, (on est loin du mental, du cérébral ou de l’intellectuel évoqué par ceux qui n’en ont pas l’expérience)

  • S’autoriser à dire l’éprouvé dans l’instant également

J’ai envie de vous prendre dans mes bras, de bercer ce petit garçon (cette petite fille) en vous, celui qui a eu si peur, celle qui attend les miettes d’un amour qui ne s’est pas vécu…

  • Et puis, il restera toujours, forcément et bien heureusement, cette part d’incertitude dans ce qui s’est joué pour l’autre, dans ce qui a permis de dénouer (exemple de l’énurésie « dis à Mme Germain pourquoi » …). « Hein, dis le à Mme Germain pourquoi tu fais pipi au lit »… « Madame, je vous arrête, et, me tournant vers l’enfant, nous allons travailler ensemble si tu veux bien, on parlera sans doute pas trop de ce pipi au lit d’ailleurs, et en explorant tous les deux de quoi ça pourrait parler que tu n’arrives pas à dire autrement, on peut penser qu’il n’y aura plus de pipi au lit, mais ni toi ni moi ne saurons répondre à cette question du pourquoi ».
  • Cette incertitude peut se traduire en décalages entre le ressenti de l’analyste et ce que l’autre a dénoué à partir d’une proposition de sa part, (quand les mots le traversent à son insu)

Jeanne Benameur, dans « la patience des traces », évoque ce décalage entre le regret de Simon, psychanalyste, d’avoir prononcé une phrase qu’il juge « stupide » à sa patiente, sa conviction que la patiente n’est pas revenue suite à cette phrase malencontreuse (page 42) et le ressenti par la patiente, ayant éprouvé que c’est cette même phrase qui a contribué à dénouer chez elle ce qui l’empêchait, et qui a bouclé le travail psychanalytique (pages 137/138)

  • Pas d’ »explication » qui tienne dans la psychanalyse. Ouf, nous voilà sauvés de la certitude, du savoir, d’une réponse à donner, d’une position où l’on saurait pour l’autre

Il reste à l’analyste : De l’engagement du corps, des corps, de la présence à l’autre, quelques repères de posture, d’écoute, de l’accueil de ce qui surgit à son insu, de la confiance pour se laisser dire, de la confiance dans l’autre qui, seul, en sait quelque chose à l’intérieur de ce qui le concerne, dans la puissance des mots qui parlent et qui ouvrent dans d’imprévisibles pas de côté, ou vers d’improbables chemins de traverse.

Conclusion

L’exercice de la psychanalyse : un risque balisé par un cadre, quelques repères et une place centrale à l’incertitude.

N’est-ce pas l’admission de ce principe d’incertitude qui nous permet d’éprouver dans l’instant, accueillant en confiance ce qui est, ce qui se présente à nous (intuitions), ce qui est à vivre faisant la part de tout ce qui ne nous appartient pas, de tout ce sur quoi nous n’avons pas prise.

Le risque de s’exposer, d’explorer le Non savoir chez l’analyste, (ou le trop en Savoir chez le patient)

Le risque de se laisser surprendre (dans les repères d’un cadre : espace/temps et positions occupées/places de chacun dont l’analyste est garant, médiation de l’argent),

Le risque d’engager une posture ouvrant aux transfert et contre transfert, conditions du travail analytique

Le risque qu’advienne la parole qui surprend l’autre,

Le risque lié au cadeau de se surprendre soi-même par sa propre parole !…

Myriam GERMAIN

1 Attention flottante : modalité d’une écoute analytique proposée par Freud à partir de sa méthode d’interprétation des rêves ; l’attention, en libre suspens, est non dirigée, non focalisée, non filtrée, sans attentes ni volonté ni réflexion. L’association flottante de l’analyste accueille ainsi les libres associations des idées du patient. Bion estime que l’analyste doit fonctionner sans mémoire, ni désir, ni connaissance. Le paradoxe dynamique de cette écoute permet de laisser surgir, parfois en fulgurances, chez le patient – chez l’analyste qui se laisse guider par comment ça parle en lui – un détail qui devient central, un mot qui dénoue en lui-même. L’attention flottante ouvre un travail d’inconscient à inconscient.

Atelier sur les P.M.A. par Mme Janin-Duc

« Les PMA : le temps démultiplié de la conception »

par Madame JANIN-DUC

Nous avons été ravis d’avoir pu organiser, par visioconférence et dans la continuité de notre fil rouge sur la parentalité, cet atelier le 31 mars 2021. Nous avions convié et invité pour cette soirée Madame JANIN-DUC, psychologue clinicienne et psychanalyste, membre de l’A.L.I.

Une introduction sur la réglementation actuelle a été effectuée par notre collègue, Geneviève STALLA-MORICEAU. Quelques repères sur la loi bioéthique ont ainsi été donnés.

Madame JANIN-DUC nous a présenté son expérience de clinicienne auprès de couples rencontrant des difficultés dans la conception.

Elle évoque une rencontre à chaque fois singulière bien que les mêmes thématiques puissent apparaître dans les problématiques rencontrées : la dette de vie en est la principale.

Bien sûr, la question de la temporalité est également présente – le temps des générations, le temps de la femme, le temps du couple. Ainsi ce temps est démultiplié.

La dette de vie est inscrite dans l’histoire de chacun-e. Y sont liées honte & culpabilité.

Les sentiments d’injustice sont fréquents lors de ces rencontres.

Voilà, en résumé succinct, les points abordés lors de cette soirée. En écho à la présentation de Mme JANIN-DUC, nous avons pu, dans un second temps, discuter et échanger afin d’approfondir nos questionnements sur ce sujet.

Nous étions 36 personnes connectées ce soir-là : psychologues et étudiants en psychologie.

Un beau succès pour les ateliers du CPCI !

De l’intime du sujet à celui de l’équipe de travail, par Xavier Contamine

De l’intime du sujet à celui de l’équipe de travail

Le travail silencieux de l’intime

Je vais tenter de montrer que l’intime est le fruit transitionnel d’un travail psychique, un processus, un échange dedans-dehors permanent et  montrer en quoi, aujourd’hui, ce travail serait en souffrance.

Je m’appuierai sur un auteur allemand, Hartmut Rosa, philosophe et sociologue, qui a écrit un ouvrage remarqué en 2010 intitulé Accélération. Selon Rosa, notre modernité porterait comme valeur première l’accroissement et l’accélération de toute chose. Dans le discours social, le sujet contemporain serait sommé d’augmenter son efficacité et sa rentabilité, d’augmenter le nombre de ses expériences vécues, de développer ses réseaux sociaux et le nombre de ses amis, d’augmenter ses revenus et ses opportunités de carrière, d’accroître sa mémoire, ses compétences, son intelligence, d’augmenter sa confiance en soi et son potentiel créatif, de développer une préoccupation permanente dans le rapport au corps et à la santé, d’améliorer son mode de communication et son empathie envers les autres, etc., etc. Par ailleurs, alors que nos parents et grands-parents conservaient le même métier, la même maison, habitaient la même région, sur plusieurs générations, un grand nombre d’entre nous sera probablement amené à changer plusieurs fois de métiers ou de maison, de lieu de vie, d’amis, de collègues et même de famille. Sans parler du changement de voiture, d’ordinateur, et de tout ce que nous avons besoin de renouveler régulièrement, beaucoup plus rapidement qu’avant. Il s’agirait d’un phénomène systémique auquel personne ne peut échapper. Il serait propre à nos sociétés modernes démocratiques et capitalistes qui ne tiennent en équilibre que dans l’accroissement et le changement permanent.

Ce qui nous intéresse particulièrement c’est l’effet psychosocial de ce système. Rosa fait l’hypothèse que l’effet le plus préjudiciable serait un phénomène de désappropriation subjective de notre rapport au monde. L’accélération nous contraignant à passer rapidement d’une chose à une autre et dans tous les domaines de la vie, il nous serait de plus en plus difficile de nous approprier quoi que ce soit, c’est-à-dire d’établir des liens stables et profonds, donc intimes, y compris avec nos proches. Chacun étant pris dans ses activités multiples, dans sa temporalité propre en accélération constante. Il considère tout cela comme une forme d’aliénation moderne.

Un sociologue français, Alain Ehrenberg, dans son livre La société du malaise propose l’idée d’un changement dans la névrose elle-même. Il pense que la question et l’angoisse de l’individu d’aujourd’hui ne seraient plus comme à l’époque de Freud : « Que m’est-il permis de penser, de dire et de faire », mais plutôt « Vais-je réussir à, serais-je capable de, suis-je à la hauteur de … ». Nous serions passés d’une position névrotique classique qui opposait une pulsion à une morale répressive via le Surmoi, à une position névrotique potentiellement dépressive où le sujet doit se mesurer sans cesse à des idéaux tyranniques et à l’angoisse constante de perdre sa valeur narcissique et sa position sociale. La peur de perdre et de se perdre serait la peur fondamentale de l’individu postmoderne. Derrière cette peur, il y aurait l’autonomie comme injonction et donc comme paradoxe. Devenez vous-mêmes, réalisez-vous ! Nous sommes passés, écrit encore Ehrenberg, de l’empêchement à devenir soi à l’obligation de le devenir. Pourtant  qui ne serait pas d’accord avec cette injonction de devenir soi-même en toute autonomie ? N’est-ce pas une quête moderne bien établie ?

Le problème c’est la place de l’autre dans tout ça. A vouloir et devoir contrôler nos vies afin de se maintenir dans le flux constant du changement, il est bien possible que ce soit le rapport à l’autre qui soit en train de passer à la trappe. 

H. Rosa, je reviens à lui, vient de sortir en septembre son dernier livre qui s’intitule Résonance.

Il propose l’idée que cette peur de perdre puisse être élargie à une peur existentielle de perdre la possibilité d’être touché et affecté par notre vie. La peur, au final, de ne jamais se rencontrer soi-même. Nous arrivons là au cœur de notre sujet sur l’intime. L’auteur fait l’hypothèse qu’au fond de toute personne il y aurait un désir originaire, comme une prédisposition, d’entrer en résonance avec tout ce qui  l’entoure, c’est-à-dire d’établir une relation intime avec le monde. Une manière de se sentir chez soi dans l’Autre. L’Autre ici écrit avec un A majuscule ce qui veut dire tout simplement le monde dans son ensemble, y compris les autres. Il considère que notre époque accélérée mettrait en péril la possibilité de réalisation de ce désir fondamental et que la quête effrénée d’accroissement serait, en fait, une réponse paradoxale (puisqu’elle produit le contraire) et quasi inévitable (puisqu’elle est systémique) pour tenter de rester en relation avec le monde grâce à tous les moyens mis à notre disposition. Si nous consommons ainsi de manière compulsive, ce ne serait pas seulement parce que nous chercherions à combler un vide ou à masquer une angoisse, ou parce que nous serions sous l’emprise des sirènes du Divin Marché (Dany-Robert Dufour) mais aussi dans le but inavoué et peut-être inconscient de trouver cette résonance dont nous aurions tous besoin. Mais la résonance étant un mode relationnel et non un état émotionnel engendré par un achat, la quête ne trouve évidemment jamais son objet miracle. Elle ne peut donc que s’accroître compulsivement : le prochain voyage sera toujours plus exotique, la chaine stéréo sera encore plus performante, le film violent ou pornographique encore plus brutal.

Quelques mots pour définir plus précisément de quoi parle Hartmut Rosa. Il écrit : « La résonance désigne un rapport de réponse réciproque dans lequel les sujets ne se laissent pas seulement toucher mais sont eux-mêmes capable de toucher, c’est-à-dire d’atteindre le monde par leur action. Un axe de résonance n’existe donc qu’à partir du moment où le monde fait sonner le sujet et où celui-ci est capable réciproquement de faire sonner le monde, c’est-à-dire de le faire réagir et répondre favorablement. Les sujets cherchent dans une égale mesure à produire des résonances et à en faire l’expérience. » Ce qui me semble particulièrement intéressant dans cette définition c’est la dimension relationnelle de réponse réciproque, de dialogue. Réponses affectées coproduites au sein de la relation elle-même et qui n’auraient donc pas existé sans elle. En outre, ces affects partagés ne sont pas nécessairement positifs. Il est possible que la tristesse par exemple fasse l’objet d’un partage et donc d’une résonance intersubjective.

Selon Rosa, la résonance n’est pas un écho, ni un état émotionnel, c’est un mode relationnel. Je le cite : « L’écho ne possède pas de voix propre, il survient pour ainsi dire mécaniquement et sans variation ; dans l’écho ne retentit que ce qui nous est propre et non ce qui répond. » Il insiste tout le long du texte sur le côté fondamental du répondant et nous verrons plus loin en quoi cela est particulièrement pertinent, aussi bien dans la constitution de l’intime du sujet que dans la constitution de l’identité professionnelle.

Tout cela n’est pas vraiment une découverte pour nous psychologues qui travaillons dans l’intersubjectivité et qui connaissons les vertus d’une relation de confiance et du partage d’affects. Il évoque d’ailleurs succinctement la relation psychanalytique et sa recherche de résonance mutuelle. Ce qui est nouveau ici, c’est de poser que la quête de résonance serait un fait anthropologique et donc le carburant de notre existence.

Il ajoute une autre idée qui me semble fondamentale et apparemment contradictoire : l’idée de l’indisponibilité de l’Autre.

Je le cite encore : « L’extension de notre périmètre d’accessibilité est devenue une forme dominante de la quête de résonance. Mais alors ce qui passe à l’as, c’est la rencontre avec l’Autre indisponible, c’est-à-dire la relation responsive avec lui qui implique une contradiction et rend possible une assimilation transformative présupposant l’expérience active d’une efficacité personnelle. » En terme psy, on pourrait dire que l’indisponibilité dont parle ici Rosa correspond à ce que nous appelons l’altérité irréductible de l’autre, ce qui nous renverrait à la castration symbolique, c’est-à-dire tout ce qui nous limite et qui à la fois permet de se constituer un désir propre hors les sirènes de la jouissance immédiate. Par indisponible il faut entendre ici, une position éthique où l’autre ne peut être, ne devrait jamais être investi comme étant à ma disposition, ce qui veut dire que je dois toujours mener un travail subjectif intime pour me l’approprier, pour m’approprier le fruit de notre relation, qui, elle seule, pourra être disponible à l’intérieur de moi. Je ne peux, à partir de ce postulat, que le rencontrer et non le « consommer ».  

En appui sur les propos de Rosa, et de manière a priori contre-intuitive, je dirais que l’intime est un mode relationnel avec soi-même qui passe originairement et continuellement par l’indisponibilité de l’Autre. Cette indisponibilité, cette réponse irréductible, qui n’est ni un écho, ni une confirmation, serait le matériau à partir duquel je vais devenir sujet et développer le plus intime de moi. Je pense qu’il est possible d’affirmer que l’intime comme l’identité n’ont de sens et d’existence que dans leur lien avec l’altérité. Il n’est sans doute pas possible de devenir soi-même sans aucune résistance, sans un travail sur soi permanent. Le problème de notre temps sur un plan subjectif pourrait se formuler ainsi : notre époque met tout en œuvre pour nous présenter l’autre, le monde, comme disponible, c’est-à-dire déjà prêt à l’emploi, prêt à porter, prêt à voyager, prêt à penser, prêt à rencontrer. Je pense que cette manière de nous présenter le monde est sans doute ce qui fait le plus de mal à notre vie intime. Car ce qui est neutralisé alors, c’est le travail subjectif d’appropriation du réel et ce travail serait, ni plus ni moins, la condition d’existence d’une vie intime.

Alain Cugno, philosophe, dans un texte intitulé L’intime écrit : « Ma pensée se présente à moi sous forme de mots venus de l’extérieur ». Cela ne signifie pas que ma pensée est dans les mots. Ce n’est pas ma pensée qui vient vers moi, ce sont les mots qui viennent vers ma pensée. Cela signifie quelque chose de très clair : de même que je ne rencontre l’intime que sous la forme du plus extérieur (les arbres, les rivières, les autres), de même je ne rencontre la pensée de l’intime que sous la forme du plus extérieur (les mots). Le sentiment d’être soi, le sentiment même de l’intimité, ne se donne pas comme tel, mais tout autrement. L’intime est le lieu absolument original où l’intérieur se donne comme extérieur et l’extérieur comme contenu de l’intérieur.

La saveur de mon existence la plus propre et la plus intime a exactement le goût d’un monde qui n’est pas le mien, la saveur du monde d’un autre. 

Un peu plus loin, il continue :

« J’ai été compris de mon auditeur s’il parle et parvient à dire ce qu’il n’aurait jamais pu dire sans ma propre parole. Et il aura vraiment parlé si, l’entendant, je puis à nouveau m’entendre dire ma propre pensée encore autrement. »

Voyez comme nous avons là une belle résonance entre ces deux auteurs. 

Au vu de ces propos on pourrait se demander si l’intime, au sens de ce qui est le plus intérieur, n’est pas une illusion. Une belle illusion, indispensable et aux effets bien réels.

La notion d’illusion me permet de passer maintenant à la fabrique de l’intime. Comment cette illusion fondamentale peut-elle advenir chez un sujet ? Quelles sont les conditions intersubjectives des premiers moments de la vie à l’origine de l’intime d’un sujet ?

Freud écrit en 1938 : « Psyché est étendue, n’en sait rien ». J’entends cette formule, décrite souvent comme énigmatique, comme allant dans le sens du mythe de l’intime et surtout dans le sens d’une psyché qui ne se saisit et ne se construit que dans un rapport initial et probablement permanent avec  l’extériorité.

Nous connaissons cette fameuse phrase de Winnicott : « Que voit l’enfant quand il regarde le visage de sa mère ? Généralement, ce qu’il voit, c’est lui-même. En d’autres termes, la mère regarde le bébé, et ce que son visage exprime est en relation directe avec ce qu’elle voit. Elle est son premier miroir. » Cette observation de Winnicott qui définit le visage de la mère comme le premier miroir de l’enfant est déterminante dans l’idée que la psychanalyse se fera de la relation précoce mère-enfant. La plupart des psys depuis lors parleront de la fonction miroir de la mère comme d’un moment essentiel dans la construction psychique de l’identité et du moi de l’enfant.

Toutefois, il me semble que l’expression « fonction miroir » est trompeuse. Evidemment, elle est à prendre au sens métaphorique, mais que se passerait-il si effectivement la mère faisait le miroir, si elle ne faisait que reproduire les gestes, les mimiques et les vocalises de son bébé ? Plus généralement, que se passerait-il si elle ne répondait pas à l’enfant mais se contentait de l’imiter ou plus simplement de s’adapter à lui ? Nous verrons avec Camille Routier et sa reprise de la théorie de la séduction narcissique chez Racamier, que certaines mères ont un besoin de confirmation narcissique pathologique. Je suppose que ce besoin exacerbé pourrait engendrer chez l’enfant une modalité relationnelle où l’autre serait vécu comme « disponible », dans le sens de « disposé à s’adapter à lui ». L’insécurité maternelle se traduirait par une attitude adaptative, c’est-à-dire non créative, non libre, dont la visée serait de se valider comme mère et non pas de rencontrer ou d’être simplement en relation avec l’enfant. Cela produira une difficulté chez l’enfant pour se rencontrer lui-même et potentiellement, plus tard, une tendance à se servir de l’autre, alors senti comme disponible. On comprend en quoi, je l’espère, la disponibilité, vu sous cet angle, s’oppose à la rencontre en favorisant plutôt une adaptation à l’autre, qui s’apparente au final à une utilisation de l’autre. (Nous avons là un argument pour discuter notre position de psy.)

L’autre est indisponible éthiquement, au sens où il n’est pas à ma disposition, comme nous l’avons vu, mais il est aussi indisponible à lui-même par la division inconsciente qui le constitue. N’est-ce pas dans ces lieux insu de la mère que l’enfant peut se bricoler un chez soi, se trouver une place où se loger parce que justement ici, personne ne l’attend au détour ? Ici personne ne le veut comme ci ou comme ça. Mais ces lieux psychiques ne sont pourtant pas vides, ils échappent simplement à la mère. Et c’est très bien ainsi. L’infini variété des façons de regarder, de toucher, de parler, la façon unique de la mère d’habiter dans son corps et dans sa parole, c’est à cela que l’enfant va s’identifier, c’est ce style, que la mère ne maîtrise pas, qui laissera au cœur de l’intime du sujet la saveur d’un autre, comme dit Alain Cugno. Pour le pire et pour le meilleur.

Quand Winnicott écrit « ce que le visage de la mère exprime est en relation directe avec ce qu’elle voit », il faudrait ajouter « et aussi en relation directe avec son inconscient, relation intime qui s’exprime dans chacune de ses attitudes ». Il me semble que l’enfant ne se voit pas seulement dans les efforts de la mère pour s’accorder avec lui, je dirais qu’il se voit quand précisément la mère ne pense plus à lui en tant que bébé à s’occuper, mais à un autre, un enfant rêvé, celui qu’elle entrevoit sans le savoir dans les plis de cet enfant réel. Notre intime est aussi fait je pense de la saveur de cet enfant imaginaire là.

La nature particulièrement paradoxale de la relation mère-enfant, et donc de la construction de l’identité du sujet, a été théorisée avec le concept de double transitionnel par Johann Jung, élève de René Roussillon, qui lui-même avait pensé ce qu’il a appelé la relation homosexuelle primaire en double.

Chez Johann Jung le double transitionnel a à voir avec l’espace intermédiaire de Winnicott. La relation en double entre mère et enfant correspondrait aux premiers temps de la constitution du Moi. Nous savons maintenant depuis plusieurs années que le bébé a des capacités très précoces de reconnaissance de la différence entre lui et l’autre, ce qui remet en question le stade anobjectal classique que nous enseignait la théorie freudienne. Il y aurait de l’autre dès le début. Mais la question est quel autre ? Comment le nourrisson perçoit subjectivement cette altérité ? C’est à cette question que tente de répondre le concept de double transitionnel. Ce que l’enfant percevrait c’est un double de lui-même à la fois différent et semblable. Cela serait possible grâce aux facultés d’accordage sensoriel et affectif de la mère. Quand tout se passe bien, elle répond aux sollicitations de son enfant par des gestes, des mimiques, des vocalises qui s’accordent à la façon d’une chorégraphie et non pas d’un miroir, aux expressions de l’enfant. En cela le double est bien transitionnel et non pas mimétique. Cette réponse de l’autre, on l’aura compris, n’est pas incompatible, bien au contraire, avec son indisponibilité fondamentale. Donc différent et semblable à la fois. Différent parce que l’enfant percevrait que cet autre n’est pas lui et semblable parce que c’est lui-même qu’il est en train de fabriquer dans et à travers les réponses maternelles. Mais à ce stade, il n’a évidemment pas conscience de cette danse à deux. Et c’est précisément ce qui va engendrer l’effet d’illusion identificatoire primaire. Il se prendra pour cette image dedans –dehors, à la limite entre lui et l’autre. Il se prendra donc pour ce double transitionnel à la fois trouvé et créé. On pourrait très bien parler d’une aliénation bienheureuse. Aliénation mutuelle entre mère et enfant. Du côté de la mère aussi car celle-ci se prend sans le savoir dans les filets de l’enfant par les résurgences inconscientes de l’enfant qu’elle a été et par l’accordage affectif qu’elle a pu établir avec sa propre mère. Aliénation indispensable à la qualité de leur relation. Indispensable à la possibilité de faire sentir à l’enfant ce qui deviendra plus tard un effet de résonance entre lui et le monde, effet dont H. Rosa nous dit qu’il est l’objet fondamental de la quête perpétuelle de tout sujet toute au long de sa vie. Il me semble que nous avons là un fondement psychanalytique à la théorie sociologique de Rosa.

L’étape d’après consiste pour l’enfant à intérioriser cette matrice relationnelle en double et ainsi à se constituer sa réflexivité interne, son contenant, l’écran intérieur sur lequel il pourra projeter et inscrire ses premières images et ses premiers affects. Ecran sur lequel il pourra se voir lui, se sentir lui-même et donc à partir duquel il développera sa vie psychique intime. Cette introjection de la relation en double pourra se faire lors d’un moment encore une fois paradoxal qui est l’hallucination négative de la mère. Je m’appuie ici sur la conception d’André Green. C’est seulement en effaçant la mère de son champ de perception que l’enfant pourra la prendre au-dedans. Selon Green ce mécanisme serait indispensable à l’élaboration de ce qu’il appelle une structure encadrante interne. Cette structure serait la base psychique, le contenant primordial qui autorise le développement d’une intériorité. Ce qui est mis au-dedans alors c’est la mère comme contenant, la mère qui porte, qui contient, mais aussi la modalité relationnelle avec elle. Et j’ajoute : alors et alors seulement l’autre devient disponible par ce travail de métabolisation psychique qui permet à l’enfant de transformer l’indisponibilité, l’altérité irréductible de l’autre, en disponibilité intime. A partir de là, l’enfant se réfléchira donc comme il a été réfléchi, en tout cas comme il s’est vu et senti à travers les réponses conscientes et inconscientes de l’autre maternel. Ce contenant n’est donc pas juste un sac enveloppant, c’est un véritable théâtre intérieur avec plein de choses plus ou moins à lui, plus ou moins étranges, plus ou moins plaisantes. C’est un théâtre trouvé-créé qui conservera cette propriété dedans-dehors tout au long de la vie. Propriété qui permet de comprendre en quoi l’intime, le sentiment même de soi, passe par l’extérieur. Ce double transitionnel, je le vois comme une double interface : il fait le pont entre dedans et dehors, en différenciant et en liant soi et l’autre et il fait le pont entre soi et soi-même en ouvrant à l’intérieur un espace réflexif qui permet le rapport du sujet avec lui-même. Le sujet peut alors croire en l’illusion que cet autre intérieur qu’il sent n’est rien d’autre que lui-même. Ce qui est intériorisé avec cet objet double de soi ce n’est pas seulement un objet interne, c’est aussi et surtout une modalité relationnelle, une sorte de schéma fondamental qui ne pourra, plus tard, que nous porter à rencontrer l’autre puisque c’est ainsi que nous nous sommes rencontrés nous-mêmes, à travers lui. Rêver, Lire, écouter de la musique, penser, toutes choses parmi les plus intimes sont des activités psychiques rendues possible par cette modalité relationnelle originelle. Nous ne faisons jamais rien d’intime qui n’ait un rapport avec notre interlocuteur transitionnel (Guy Lavallée).

A partir de là, il est évident que l’hyperactivité à laquelle nous contraint le système ne peut que nuire à la vie intime. Que devient notre interlocuteur interne quand le monde autour nous effraie, nous contrôle, nous piste, nous sollicite constamment, nous abuse, nous excite, nous trompe. L’appareil psychique ne risque-t-il pas d’être saturé ou simplement épuisé ?

Au regard de ce qui vient d’être dit sur l’accélération et la désappropriation subjective, ce qui est menacé ce serait donc le travail silencieux de l’intime. Ce temps indispensable et permanant de création de soi en appui contre et tout contre l’autre indisponible. Car l’intime est un processus, comme l’identité, il n’en finit jamais de se créer et recréer sans cesse en appui sur le lien dedans-dehors. Ce travail a nécessairement une temporalité propre qui en passe par l’acceptation d’une certaine passivité. L’accélération, l’hyperstimulation perceptive permanente, la course à l’autonomisation forcée,  produiraient, en-deçà d’une hyperactivité apparente, en réalité, une passivation (sidération, emprise) écrasante en privant l’individu moderne de ce temps essentiel de la « passivité digestive » qui consiste dans la métabolisation et l’intériorisation de ce qui lui arrive.

Une lueur dans ce désert de résonance : avez-vous remarqué le succès de la fête des voisins, des marchés de petits producteurs, du retour du local, le succès des grandes manifestations publiques qui drainent de plus en plus de monde, le développement du nombre des associations ? Ce ne sont que quelques exemples, mais il me semble qu’ils parlent d’un désir de résonance assumé comme tel et non à travers la consommation à outrance.

Quelques mots à présent sur l’intime dans les institutions

Il a été question plusieurs fois de la faculté de réponse résonante de l’objet dans les temps primaires de l’intersubjectivité. Pour une équipe de travail, cette qualité de réponse est tout aussi essentielle. C’est pourquoi l’absence de répondant que nous observons dans les institutions engendre des souffrances inédites.

L’absence du répondant serait aujourd’hui une des caractéristiques des relations en général et professionnelles en particulier. Dans le « Malêtre », René Kaës écrit : « Le répondant est la présence humaine à une adresse, à une demande. Le répondant accepte d’en être le destinataire, il ne se dérobe pas devant le risque de la rencontre. L’ampleur de ce désastre qu’est la disparition du répondant ne s’éprouve pas seulement lorsque les automates se substituent à la présence humaine sous le prétexte de gains de productivité. Cette neutralisation de la présence est, je le crains, une des manifestations de la haine de la psyché, et donc de l’autre, imprévisible, dont les questions dérangent ». 

A travers « imprévisible », nous pourrions sans trop nous tromper entendre « indisponible ».

Dans les institutions médico-sociales, nous constatons tous aujourd’hui un envahissement gestionnaire. Les directeurs et directrices sont tous devenus, ou presque, des managers gestionnaires qui gèrent leur institution comme une entreprise. C’est la commande qui leur est faite. La différence de taille c’est que les institutions sociales ne rapportent pas d’argent, elles en dépensent. La crise sans fin dans laquelle nous vivons depuis des dizaines d’années, contraint l’état à contrôler drastiquement ses budgets. Ce contrôle se traduit par des normes, des recommandations, des prescriptions, des procédures, des évaluations, des statistiques, des chiffres en tout genre qui viennent envahir le quotidien des équipes de travail. Les métiers de la relation humaine nécessitent de parler de soi, d’échanger, de travailler ensemble, de s’interroger, d’analyser sa pratique régulièrement pour d’abord et continuellement se soigner soi-même. Un aidant qui n’est pas aidé ne peut pas aider sérieusement.

A peu près tout ce qui est mis en place par l’emprise gestionnaire va à l’encontre de ce soin indispensable au soignant. Les réunions d’équipe autour des usagers, les temps informels, les temps de transmission sont tous systématiquement remis en question ou alors envahis par l’organisationnel et la gestion.

Tous ces temps sont pourtant fondamentaux dans le maintien de la confiance dans une équipe et dans la constitution de l’équipe elle-même.

Mais le plus compliqué est l’absence de répondant. Quand une équipe se plaint de ne pas pouvoir faire son travail auprès de son chef, ce n’est pas en réalité pour obtenir des réponses techniques, mais pour partager son désarroi et trouver un répondant bienveillant qui reconnait cette difficulté et qui assure que « oui nous sommes bien dans le même bateau, qui ressemble souvent à une galère, mais que nous allons tous ensemble, avec les moyens du bord, réussir à créer quelque chose de satisfaisant ». Il me semble que les réponses aujourd’hui, quand il y en a, prennent la forme de recherche de solutions au lieu de garantir l’existence d’un sens commun. « Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions ! » Ce n’est que dans la fabrique d’un sens commun partageable, que le sentiment collectif intime d’appartenir à une entité singulière et irréductible à toute autre pourra être entretenu. Les gestionnaires ne parlent pas la même langue que les accompagnants. Ils ne peuvent répondre de ce qu’ils font qu’en termes économiques. Ceci produit évidemment de l’incompréhension mutuelle, mais surtout un vécu d’abandon dans les équipes. Comme un nourrisson qui ne se verrait plus dans l’accordage maternel, qui n’aurait plus de place, dans l’espace de l’Autre, pour se bricoler l’illusion d’être créateur de lui-même. Ce que les équipes ont perdu c’est l’espace et le temps pour entretenir cette illusion transitionnelle d’être créatrices de leur pratique et de leur cadre d’action.

Les institutions sont contraintes de fonctionner comme des plates-formes ouvertes qui gèrent des flux, c’est-à-dire des entrées et des sorties. En perdant ainsi son enveloppe et en appliquant des normes et des procédures anonymes, l’institution perd donc son identité et ce qui a fait sens dans son histoire. Comment alors une intériorité, un vécu intime institutionnel pourrait se développer ?

La difficulté majeure, pour les équipes, se trouve dans la quasi-impossibilité de s’appuyer sur une illusion groupale suffisamment éprouvée. L’illusion groupale, concept élaboré par Anzieu, consiste en un moment fondateur où l’équipe se sent comme un seul homme : « nous sommes une bonne équipe, nous travaillons bien ensemble et nous avons un bon chef ». Ce temps devra être dépassé dans un autre temps de désillusion, mais l’illusion ayant eu lieu, elle laissera des traces positives et rendra possible la créativité de chacun. Je fais l’hypothèse que ce temps-là, indispensable à la constitution d’une équipe est aujourd’hui constamment remis en question par les changements permanents au sein des équipes elles-mêmes et au sein de l’institution. On voit bien que l’illusion de ne faire qu’un, de sentir les autres comme soi-même, partageant un même idéal, nous renvoie à l’idée du double transitionnel. Ici, se serait l’équipe qui n’arriverait plus à se voir et à se sentir elle-même comme une entité à part entière. Autre parallèle avec le double : nous avons vu que l’enfant devait effacer sa mère pour prendre au-dedans la relation en double. Je propose l’idée que toute équipe aurait besoin de réaliser cet effacement à l’égard de son institution pour l’intérioriser comme contenant, comme une matrice à penser ensemble. En étant constamment contrôlé et en même temps abandonné par l’absence de répondant et renvoyé vers une pratique procédurale, il est impossible d’effacer une mère institution qui n’a plus les moyens d’instaurer une relation résonante. La résonance donne le sentiment d’être actif, pertinent et surtout relié au monde. Ce n’est pas en autonomie, seul face à sa tâche primaire, que travaille un accompagnant, mais dans le lien constant avec ses collègues et ses cadres. Si les directions restent froidement technocratiques ou terrorisées par un métier qu’elles ne connaissent pas, elles ratent la rencontre avec leurs équipes et les contraint à l’évitement d’elles-mêmes, au repli défensif, au morcellement, à l’application automatique des procédures, au cynisme ou à la mélancolie.

En conclusion, une ouverture :

Pour rencontrer un peu de résonance, les équipes devraient–elles considérer l’absence du répondant comme une forme particulière de l’indisponibilité de l’autre ? Je pose la question sérieusement. Je me demande si ce n’est pas ce qui arrive parfois quand les équipes réussissent à créer, malgré cette apparente incommunicabilité, une alliance de travail avec leur direction gestionnaire. Il s’agirait d’accepter que cet autre étrange et étranger qui ne parle pas le même langage que l’équipe puisse, dans un premier temps, être indisponible, c’est-à-dire pas du tout à sa disposition. Accepter l’idée que la disponibilité de cet autre ne peut être que le fruit d’un travail subjectif, d’une assimilation, comme nous l’avons vu, mais pas une donne a priori. Les pères fondateurs des institutions de l’ancien monde étaient dans l’excès inverse. Ils portaient leur institution à bout de bras, quitte à en devenir tyranniques.

Accepter cette nouvelle donne me semble un passage obligé aujourd’hui, un pré-requis à toute évolution possible, pour sortir de l’état de guerre et panser les pertes réelles auxquelles sont soumises les équipes et poser les conditions d’une rencontre. Un peu comme un enfant qui devra bien un jour accepter ses parents tels qu’ils sont. Les gestionnaires eux-aussi ont un inconscient dans les plis duquel il est sans aucun doute possible d’y entrevoir une réponse résonante.

Xavier Contamine – octobre 2018

Bibliographie

Hartmut ROSA, (2013). Accélération, une critique sociale du temps, La Découverte

Hartmut ROSA, (2014). Aliénation et accélération, vers une théorie critique de la modernité tardive, La Découverte

Hartmut ROSA, (2018). Résonance, une sociologie de la relation au monde, La Découverte

Ouverture de la Journée Annuelle des Psychologues, par Axelle M. & Anne J. – novembre 2017

Ouverture de la Journée Annuelle des Psychologues

Par Anne J., présidente du CPCI et

Axelle M., psychologue clinicienne au CHAI

Nous continuons aujourd’hui notre travail entrepris l’année dernière à la même date et dans le même lieu à propos de l’identité des psychologues, de leur capacité à travailler et à réfléchir ensemble.

Je choisis aujourd’hui un discours d’ouverture peu théorisé mais plutôt une création narrative de ma place et de mon positionnement. J’exerce le métier de psychologue clinicienne. Je suis psychologue dite institutionnelle dans une maison d’accueil spécialisée et également intervenante en analyse de la pratique. Parallèlement je suis engagée dans le diplôme universitaire d’analyse de la pratique de l’institut de psychologie à l’université de Lyon.

Comme vous le savez, je suis la Présidente du Collège des Psychologues Cliniciens de l’Isère depuis 2 ans. Il n’y a pas eu d’enjeux de rivalité lors de mon élection, il fallait quelqu’un à ce poste que personne ne voulait, j’y suis allée.

Je suis également, comme vous, citoyenne et j’ai le sentiment de subir des mutations sociétales et mondiales qui manquent de cohérence et de sens et qui viennent me solliciter du côté de l’opposition, de la révolte. Frédérique GROS, philosophe, parle de la « désespérance du monde à la mesure de notre impuissance1« . Il ajoute : « Pourquoi est-il si facile de se mettre d’accord sur la désespérance du monde et si difficile pourtant de lui désobéir ?« 

La transmission est donc le thème qui nous habite aujourd’hui. Il me semble que nous traversons une crise du récit, de la mise en mots, de la mise en débat. Ma réflexion s’appuie sur les écrits de Walter Benjamin, philosophe allemand de la première moitié du XXème siècle que j’ai découvert au travers des ouvrages de Roland GORI.

Souvent cette année, à ma place de Présidente du CPCI, entre autres, j’ai été envahie de sentiments négatifs, dépressifs et quelquefois violents, sentiments de colère, de désespoir, d’inertie, pestant contre l’énergie qu’il nous fallait trouver pour mener à bien les actions, les objectifs du CPCI, objectifs qui sont à mon avis à la fois humbles et suffisants pour créer la dynamique nécessaire à la créativité et à l’existence de ce groupe « laïque » de psychologues, c’est-à-dire non rattachés à une institution particulière. Ses fondateurs ont aujourd’hui quitté l’association et la plupart sont partis à la retraite, nous avons du mal à prendre le relais. La notion d’engagement vient ici prendre tout son sens … il fut un temps semble-t-il révolu, où lorsqu’on prenait date pour une rencontre, on y était présent et non pas débordé par l’accélération d’un temps subjectif. Le paroxysme de ce malaise fut ce printemps où je me surpris à penser : « y’a plus qu’à se payer en douce un voyage avec l’argent dont on dispose sur le compte du CPCI … et stopper cette aventure« . Car paradoxalité de la situation : la santé financière du CPCI est bonne et nous permet d’organiser ce type de journée sans avoir la préoccupation des entrées d’argent. Comme quoi, finalement, l’argent n’est peut-être pas le nerf de la guerre …

Les encouragements et les remerciements concernant la communication du CPCI via sa boite de messagerie sont nombreux, néanmoins, je souhaiterais que le CPCI ne devienne pas un réseau social à l’image de « facebook » ou « twitter », qu’il ne soit pas que cela, qu’il ne soit pas surtout cela.

Alors il me restait à partager ces préoccupations avec les membres du Comité d’organisation de cette journée et sentir alors la nécessité impérieuse de sortir de notre pessimisme en allant voir ailleurs si l’herbe est plus verte … Lyon vécu par nous grenoblois comme un des bastions de la psychanalyse et porteur d’une pensée clinique vivante et vivifiante, le petit village gaulois, quoi. Je remercie donc Sarah GOMEZ d’être avec nous.

Je me pose la question de notre groupe, ici et maintenant. Sommes-nous en capacité de défendre nos droits, nos contrats de travail, notre temps FIR, notre travail de psychologue particulièrement attaqué dans le registre qui est le sien, c’est-à-dire la pensée. Les psychologues peuvent ainsi être instrumentalisés quand la précarisation de nos postes ne nous permet pas toujours de nous positionner face à nos directions. Mathilde DESCHAMPS nous parlera tout à l’heure de l’institution.

Penser et agir maintenant.

Aller plus loin aujourd’hui et faire peut-être ensemble. Pour ceux qui étaient présents l’année dernière à cette journée, souvenez-vous de l’intervention de Ludovic GADEAU. 500 nouveaux diplômés en psychologie qui sortent des bancs des facultés Rhône-alpines. Au niveau national, c’est 4967 diplômes de psychologie délivrés en 2016 toutes options confondues. Les institutions vont-elles offrir le nombre de postes correspondants ? Non. Et nous psychologues isérois et Rhône-alpins que faisons-nous par rapport à cette situation ? Comment pouvons-nous nous positionner ? Vous comprenez donc la raison de la présence de Jacques BORGY à nos côtés aujourd’hui.

Pour finir cette introduction et lancer la journée, j’ai appris l’existence d’un blog de psychologues qui s’intitule : « un jour, les psys domineront le monde mais pas demain faut rendre un rapport« . Voilà de quoi nourrir notre réflexion.

Et avant de passer le bâton de relais à Axelle Mars, j’ajoute un dernier point concernant « la pensée et l’action » : ce discours d’ouverture ne se veut pas trop militant, néanmoins, vous savez qu’une association comme le CPCI, même si cette dernière se porte bien financièrement, vit uniquement grâce aux adhésions. Nous avons donc prévu un stand « adhésions ».

Anne J., présidente du CPCI

Nous avons donc choisi de titrer cette journée qui nous réunit : Malaise dans la transmission : Je vous épargnerai les différentes étymologies dont nous sommes férus, nous les psychologues, tellement soucieux ou faudrait-il dire curieux des origines, pour en garder le vocable « mission ».

Mission : Celle qui m’est dévolue ce jour serait-elle d’usurper une place, naguère tenue par le secrétaire du Collège des Psychologues du CHAI, auparavant appelé C.H.S ?

Ce dernier d’ailleurs, qui d’un revers de signifiant a perdu son « S », ce « S », qui pourtant lui conférait sa spécificité, c’est-à-dire de pouvoir recevoir des personnes ayant des troubles psychiques quels qu’ils soient. A l’instar des pavillons qui ont perdu leurs noms de médecins psychiatres pour ceux plus fleuris de Berlioz, Matisse…

Alors, malaise dans la transmission : Nous sommes là au cœur du sujet.

Savez-vous qu’à l’origine du Collège des Psychologues actuel était le C.L.I.P.P, Comité de Liaison et d’Information des Psychologues Praticiens. Il s’agissait d’une association fédérant des psychologues de divers horizons, du CHSP, eh oui, P pour Psychiatrie, de Saint-Egrève, de Bassens, de l’AFIPAIEM, LE Perron, l’OVE…

Le premier document que j’ai tenu dans les mains date de décembre 1977 et a pour titre « revendication salariale : note aux psychologues ». Il s’agit d’un document rédigé par les syndicats CGT, CFDT et SNP aux psychologues :

« Chacun d’entre nous est conscient de la sous-rémunération qui frappe notre profession. Actuellement, il n’est pas tenu compte :

  • De notre niveau d’études ni de notre qualification

  • De la réalité de notre travail ni de nos responsabilités.

  • Notre revendication salariale s’inscrit normalement dans le contexte social général actuel. Tous travailleurs de notre pays se battent contre l’érosion de leur pouvoir d’achat et pour obtenir des salaires décents, et les Psychologues ne sont pas différents des autres salariés. »

Le CR de l’AG du 20 Avril 1978 traite du problème du numerus clausus au DESS de Psychopathologie et pose ainsi la question :

« Faut-il former des psychologues en fonction des débouchés dans le monde du travail ?

Ou faut-il former des individus compétents, capables de s’intégrer eux-mêmes dans la vie professionnelle ?

Plutôt que de créer de nouvelles spécialisations en 5ème année ne pourrait-on pas intégrer dans les études de Psychologie des formations qui sont nécessaires à tout praticien (formations de groupe, analyse institutionnelle, connaissances des réalités professionnelles…) ? »

Tout cela n’est pas sans évoquer l’intervention de Ludovic Gadeau de l’an dernier.

En 1979, la première journée régionale des psychologues pensée comme un débat public, regroupe une soixantaine de psychologues sur les 170 conviés….y croirez-vous, la journée s’articulait autour d’une table ronde d’une dizaine de psychologues, et d’un débat suite à cette table ronde, concernant les différents aspects du travail du psychologue (champ statutaire, etc). L’année suivante la journée intitulée « seuils et normes dans la fonction du psychologue » se proposait de réfléchir au problème des psychologues sans travail : « quelle solidarité à ce sujet ? », et à celui de la pratique des psychologues face au pouvoir institutionnel…Puis deux années ouvertes de travail visant à participer à l’élaboration du projet de loi sur la protection du titre de psychologue établie en 1985, sur le statut du psychologue, ainsi que sur la constitution du DESS. Enfin, le code de déontologie qui sera fondé en 1996 est l’objet de presque chaque réunion mensuelle. En 1991 le CLIPP devient le collège des psychologues du CHS de Saint Egreve. En 2004, des membres du collège associés à des psychologues d’autres institutions ressentent le besoin de créer une association hors les murs  : Le CPCI est né.

Mission, car dans la journée qui nous réunit aujourd’hui, et celles qui ont précédé, pour les membres qui l’ont construite au fil de nos réunions, cette valence-là prend tout son sens. D’année en année, continuer à faire vivre cette journée relève de la mission, alors qu’elle constitue véritablement l’unique temps autour d’un objet commun : nous retrouver. De la même manière, continuer à faire vivre le collège des psychologues, et aussi, le CPCI, comme vous le disait Anne Jambrésic, peut parfois relever de la gageure.

L’engagement collectif des psychologues est en berne, au sein d’une époque où le sujet peine à trouver un lieu, un refuge, où il puisse traiter de ses angoisses liées à sa condition d’être humain.

Enfin, Sommes-nous encore en mesure dans nos mondes contemporains d’assurer les missions qui nous incombent, au sein de l’Hôpital, les missions de service public ? Mais aussi plus largement, les psychologues peuvent ils se sentir encore suffisamment tranquilles pour assurer leurs missions dans l’institution dans laquelle ils travaillent ? Et si oui, pour combien de temps encore ?

Aujourd’hui, dans le tourbillon des contraintes et des multiples niveaux d’indifférenciation, nous sommes appelés, me semble-t-il, à soutenir la dignité à laquelle les patients ont droit, à prendre le pouls des équipes violentées par ces langues étrangères du « tout rentable et tout contrôlable » et les accompagner ; à proposer des lectures de ce démantèlement organisé de l’histoire ; à être, comme le disait Serge Manin « force de proposition », pour lutter contre l’effondrement. Acceptons nous d’assurer, « fils et filles de » une continuité d’existence à la génération que constitueront les psychologues de demain ?

Cela suppose inévitablement d’assumer être dans un certain dévoiement à l’intérieur de notre institution qui rame en sens inverse.

Nous traversons un moment dépressif qui perdure. Surmonter la position dépressive, c’est pouvoir reconnaître, et supporter, que les bons peuvent être méchants mais que les méchants, aussi, peuvent être gentils…

A l’hôpital, les formations, celles que nous avons reçues aussi bien que celles que nous pouvons proposer, mais également, quelque chose de l’ordre de la famille, font partie à mon sens du bon.

La famille élargie, pour ma part, de mes collègues psychologues, psychomotriciens, assistantes sociales, infirmiers, éducateurs, orthophonistes, enfin, quand il en existait encore, et de certains médecins avec lesquels l’idée de collaboration conserve tout son sens. Dans ce qui nous relie, une forme de ténacité et la conviction que nous ne pouvons pas être ailleurs que là où nous nous efforçons de rester arrimés, au chevet de nos patients. L’hôpital est le lieu de l’Hospitalité.

Tout cela suppose de pouvoir supporter l’incertitude et le désarroi qui ne sont pas de vains mots nous concernant. C’est plus facile à plusieurs.

Certes, c’est peut-être de l’illusion groupale, mais n’avons-nous pas besoin de cette illusion d’omnipotence pour survivre ?… à l’image de l’enfant qui en jouant, avec toute la force de ses pulsions, surmonte sa douleur et sa peine inhérentes au fait même de vivre. Et ainsi, je finirai par cette phrase de Piera Aulagnier dans la Violence de l’Interprétation qui résonne avec notre journée : « Vivre c’est expérimenter de manière continue ce qui résulte d’une situation de rencontre ».

Axelle M., psychologue clinicienne au CHAI

Vendredi 24 novembre 2017 – Grenoble

1 Frédérique GROS, « Désobéir » ed. Albin Michel, 2017

Conférence de 2015 : Pourquoi tant de haine aujourd’hui ? avec Albert Ciccone

conférence organisée le 5 mai 2015 par le CPCI :

 

Pourquoi tant de haine aujourd’hui ?

avec Albert Ciccone

Psychologue, Psychanalyste, Professeur de Psychopathologie et Psychologie Clinique à l’Université Lyon II.

La société d’aujourd’hui semble avoir de plus en plus de mal à contenir les mouvements de haine. Cette conférence interrogera les sources, enjeux et effets de la haine du point de vue de la psychologie, qu’ils se manifestent dans le lien familial, social ou aussi de soin. Nous ne pouvons nier la haine dans les relations ordinaires mais quel type de lien participe-t-elle à nouer et quel rapport entretient-elle avec l’agressivité, la destructivité ou l’amour ?

Les Journées Annuelles des Psychologues, de 2007 à 2015

     Depuis 2007, le Collège des Psychologues Cliniciens de l’Isère, en association avec le Collège des Psychologues du Centre Hospitalier Alpes Isère, organisent la journée annuelle des psychologues, chaque 3ème vendredi de novembre.

Cette journée, s’organisant autour d’interventions en salle plénière, puis d’échanges en groupes restreints, permet d’aborder des thèmes transversaux dans un cadre de réflexion, de partage d’expériences.

2015 – Démarche de soin, demande d’expertise : quelles possibles complémentarités ? (argument ci-dessous)

2014 – La crise, une désorganisation féconde ?

2013 – Quelle place pour le travail psychique dans les équipes et les institutions ?

2012 – La polyphonie des approches cliniques peut-elle avoir un sens ?

2011 – Incidences des mutations sociétales sur les pratiques des psychologues

2010 – Les soins sous contraintes

2009 – Neurosciences et vie psychique

2008 – Quelles conceptions cliniques ?

2007 – Évolution de la place des psychologues au sein des institutions

C’était en 2015 :

Démarche de soin, demande d’expertise : Quelles possibles complémentarités ?

     Évaluations systématiques, bilans standardisés, expertises spécialisées centrées sur une pathologie, s’inscrivent de plus en plus dans nos pratiques. Des terminologies nouvelles : troubles bipolaires, troubles envahissants du développement ou troubles du spectre autistique s’imposent : sont-elles un éclairage novateur ? De quelles significations sont-elles porteuses ? Ces classifications issues du DSM peuvent entraîner une conception réductionniste des pathologies dont souffrent les patients que l’on rencontre. Que disent-elles alors de la signification du symptôme, de la singularité de l’individu ?

     Si le diagnostic rassemble, identifie un ensemble de ressentis, de troubles et donne un contour aux difficultés rencontrées, il convient néanmoins d’en interroger l’usage. Ce diagnostic est aujourd’hui plus fréquemment demandé par les patients et leur entourage. Peut-il être quelquefois vécu comme une sanction ? Vient-il clore un questionnement ou confronter à l’angoisse ? Pourrait-il aussi constituer le vecteur d’une réflexion, d’une nouvelle compréhension ? Le temps de la clinique est-il préservé de cette logique évaluative ?

     Dans cette démarche d’expertise, dans ce processus d’évaluation, il nous revient peut-être à nous psychologues de faire du(des) diagnostic(s) un support pour le soin et non une fin en soi. Nous interrogerons donc lors de cette journée, les conditions d’une mise en cohérence de l’expertise et de la dynamique de soins psychiques. Et plus encore, plutôt qu’y répondre du côté de normes pré-établies, l’évaluation peut conduire à des questions qui servent une pratique clinique mouvante et dynamique.