Ouverture de la Journée Annuelle des Psychologues
par Anne J., présidente du CPCI
Bienvenue à la 11ème journée annuelle des psychologues de l’Isère. La première journée avait donc eu lieu en 2005. Au fil des années, nous avons développé nos échanges sur la place des psychologues dans les institutions et dans la société en lien avec les mutations qui leur sont inhérentes. Nous avions abordé l’année dernière la question de la complémentarité de nos pratiques. Nous continuons aujourd’hui notre travail de réflexion sur l’identité des psychologues et nous nous intéresserons plus particulièrement au « travailler ensemble ».
L’identité et le travail sont deux notions inséparables et c’est par là que je vais attraper les ficelles qui nous permettront de faire défiler notre journée.
Le travail est central dans la construction identitaire. Il entre en forte résonance symbolique avec notre identité personnelle, notre histoire infantile. C’est bien la singularité de notre parcours personnel qui nous pousse à mettre en place une certaine pratique puis à la modifier, jusqu’à peut-être sortir des rails théoriques. Travailler avec d’autres disciplines, articuler sa pratique à celle des autres, bref, coopérer, n’aboutit pas, nous l’espérons, au flou des pratiques. Bien au contraire, travailler de façon pluridisciplinaire aiguise les règles du métier, les déontologies de chaque discipline. Sortir des rails, oui, peut-être pas seul alors. Le risque serait de perdre la reconnaissance de ses pairs lorsque l’on change de posture professionnelle. Défricher de nouveaux champs cliniques avec des concepts et des pratiques non encore validés peut générer la mise au ban, l’isolement, l’arrêt d’une carrière, la nécessité impérieuse de quitter l’institution dans laquelle on travaille.
Comme le dit Alain-Noël HENRI dans « la formation en psychologie, filiation bâtarde, transmission troublée » ouvrage paru en 2004 :
« Les psychologues doivent travailler à trouver leur style, à devenir le chercheur qu’ils peuvent être face à des énigmes inéluctablement douloureuses et angoissantes. On dit souvent que pour être psychanalyste, il faut avoir réinventé la psychanalyse pour son propre compte dans l’expérience de sa propre cure, le psychologue doit réinventer les théories psychologiques pour son propre compte, dans l’expérience qui consiste à élucider ce qui en soi et autour de soi fait énigme pour lui. «
Il me plaît de reprendre l’image développée par le psychanalyste Paul Montangerand, dans son ouvrage « la voie du thérapeute » :
« Nous appartenons aux générations qui succèdent à celle des grands pionniers, comme un cartographe devant les premiers explorateurs du continent africain. Ils [Ces cartographes] avaient les uns et les autres établi leurs tracés qui ne concordaient pas toujours, mais ils procédaient d’expériences vécues. A nous de voir comment tenir ensemble ces tracés de manière à établir notre propre carte du continent.«
Le psychologue acquiert en partie son identité lors de sa formation initiale et c’est bien notre propos aujourd’hui. Le souci de rigueur scientifique et méthodologique appris dans le cursus universitaire fait partie des éléments de base auxquels s’ajoute une dimension particulière à ce métier qui tient à ce que la rencontre humaine ne peut être enfermée dans une rationalité codifiable ou programmée. Cette dimension est celle de la subjectivité et de l’intersubjectivité. Elle définira, pour le praticien, sa manière d’être et son implication dans la relation à l’autre. La transmission universitaire de cette « manière d’être » demeure relativement aléatoire. Ludovic GADEAU apportera peut-être des éclaircissements, son point de vue, à ce qui signifie pour un enseignant, pour un praticien, cette « manière d’être psychologue ».
Le savoir-faire alors ? Un savoir-faire psychologique dont on entrerait en possession lors de l’obtention du diplôme que l’on a tant désiré. On pourrait croire alors avoir acquis une maîtrise intellectuelle sur un savoir psychologique. Un tel « savoir-faire psychologique », je cite à nouveau Alain-Noël HENRI, deviendrait alors l’équivalent d’un « prêt à porter » qui éviterait, par là-même, de donner à penser ou à remettre en pensée ce qui se joue dans la rencontre avec un usager, usager que nous entendons dans le sens du sujet dont on écoute la parole : sujet individuel, couple, groupe, institution. Oserions-nous alors travailler avec un/une collègue en psychodrame ? Quelles conditions faut-il remplir pour que cela puisse aboutir ? Les conditions énoncées ne relèvent-elles pas d’un processus inconscient ?
« Nous ne sommes donc jamais vraiment psychologues » comme le faisait remarquer Jean Guillaumin à ses étudiants, mais nous essayons de nous maintenir psychologues, entreprise peu sécurisante, qui nous confronte sans cesse à nos manques, nos doutes, nos failles et nos défaillances narcissiques. C’est dans ce travail de désillusion par rapport à un « tout savoir » et un « tout pouvoir » que le psychologue trouvera sa plus juste place.
Travailler ensemble alors. C’est la réalité d’aujourd’hui, nous travaillons avec des psychologues cliniciens, des neuropsychologues, des psychologues du travail. Les théories, en psychologie, sont multiples : psychologie expérimentale, différentielle, sociale, clinique, ethnopsychiatrique, cognitiviste, comportementaliste, … Notre travail est différent mais je me pose la question et nous pose la question : les psychologues cliniciens sont-ils plus cliniciens qu’un neuropsychologue, lorsque l’on se réfère à l’étymologie du mot « clinique » ? L’objet d’étude du psychologue du travail est-il les organisations ou l’humain dans l’organisation du travail ?
Travailler ensemble et accéder à la parole de l’autre, l’autre identique à nous-mêmes de par sa fonction ? Faire partie d’un groupe de supervision, d’un groupe d’intervision, est-ce se mettre en danger ou être en capacité d’accéder à une groupalité interne ? C’est mettre au travail notre « prêt à porter », notre prêt à penser, c’est modifier, diversifier notre garde-robe de mots, de concepts, de clés de compréhension.
Travailler ensemble alors et prendre conscience de cette part de rivalité inhérente dans cette rencontre, entendre nos propres enjeux narcissiques et ceux de nos collègues. En travaillant avec nos pairs – P.A.I.R.S – c’est revisiter notre relation à nos frères et sœurs, notre histoire infantile avec elles et eux, nos fantasmes les concernant. Serait-il alors bienvenu et nécessaire que dans tout collègue il y ait un adversaire ?
Puis se séparer enfin pour devenir soi. J’espère qu’un jour les psychologues pourront devenir eux-mêmes dans leurs institutions et dans l’image qu’ils / que nous véhiculons dans la société. Deviens ce que tu es, disait Nietzsche. Cela nous invite à sortir de notre routine professionnelle, nous pousse au dépassement de soi et à la transcendance.
25 novembre 2016, à Grenoble
Anne J., Présidente du CPCI
Bibliographie :
A.-N. HENRI & P. MERCADER, La formation en psychologie, Filiation bâtarde, transmission troublée, Presses Universitaires de Lyon, 2004.
P. MONTENGERAND, La voie du thérapeute, sa propre édition, 2003.