Fonction phorique, holding et institution

Jean-Louis Beratto,

premier président du CPCI, à l’initiative de sa création

A propos de …

Toulouse, Erès, 2018

Comment peut-on se porter soi-même ? voilà la question inaugurale de cet ouvrage. Grâce à une fonction phorique accomplie répond l’ensemble des réflexions riches de nombreuses références, proposées par Pierre Delion.

La fonction phorique détermine l’ensemble des portages nécessaires au développement de l’enfant, notion qui interroge tout autant les qualités de la parentalité que la qualité des équipes soignantes.

Le portage est défini comme l’organisateur psychique de la qualité des interactions bébé-parents. La continuité des soins maternels avant et après la naissance constitue l’élément fondamental pour un holding fiable, reliant les inscriptions tactiles prénatales et les bras porteurs maternels.

L’auteur se préoccupe des conséquences sur la thérapeutique et sur la vie institutionnelle de la fonction phorique. Il pense qu’une mise en place opérante des dispositifs de soins ne peut s’envisager sans une réelle connaissance de la bipolarité pulsionnelle de la vie psychique. Citant les travaux de René Roussillon et de René Kaës traitant également de la fonction phorique, il précise que le passage de l’intersubjectif à l’intrapsychique en constitue le fil rouge. Il rappelle, en évoquant notamment la pensée winnicottienne, que la fragilisation des fonctions parentales n’est pas sans conséquences sur le processus du développement de l’enfant, sur la création de son monde interne.

Il nous propose ensuite une conversation imaginaire entre Michel Tournier et Donald Winnicott où, chacun selon son style, traite du portage, des risques de la fonction phorique, de l’acquisition d’une position subjective, des effets sur l’enfant d’un environnement inadéquat, des conditions de l’humanisation.

Attentif aux prises en charge, à l’accueil de la souffrance psychique, Pierre Delion estime que seule une réflexion métapsychologique sur les capacités transférentielles permet d’éviter la maltraitance institutionnelle. Si faire institution favorise le portage de la souffrance psychique de l’enfant, la fonction phorique se complète d’une fonction sémaphorique, fonction définie comme la mise à disposition de son appareil psychique de soignant à la souffrance qui s’exprime selon des modalités très diverses, et d’une fonction métaphorique relative au travail institutionnel.

Pour contribuer à une meilleure compréhension du passage de la vie anténatale à la vie postnatale, l’auteur retient des opérateurs de continuité et de discontinuité. L’audition d’une part, la pesanteur d’autre part sont données en exemples. A la naissance, l’inscription dans la mémoire neuronale du fœtus des expériences de continuité et de discontinuité est déterminante. La crainte de l’effondrement définie par Winnicott en constitue une belle illustration. Un portage de bonne qualité s’avère indispensable au bébé afin qu’il se sente en sécurité et développe ses compétences d’explorateur. Les réponses cohérentes apportées à ses besoins, le holding, soutiennent l’intégration d’un modèle interne sécure. Deux autres notions viennent compléter le holding : le handling (approche du corps du bébé par les mains maternelles) et l’object presenting (présentation au bébé des objets de son environnement). Ainsi la fonction phorique n’est pas réductible au holding ; elle engage un portage psychique où le contact, zone du sentir où ne règne pas la distinction sujet-objet, tel un accord primordial, en constitue un élément précieux.

Porter l’enfant c’est bien, le faire en le pensant séparé c’est mieux. Pierre Delion rappelle les différentes castrations symboligènes formulées par Françoise Dolto et souligne comment, au cours de sa maturation, l’enfant intériorise la fonction phorique parentale, se forgeant peu à peu des représentations de mots liées à des représentations de choses.

Dans la prise en charge des enfants présentant des difficultés de développement, autistes ou psychotiques, la fonction métaphorique de l’institution n’est accessible que par la mise en commun par les soignants des fragments transférentiels dont ils sont l’objet. L’auteur insiste sur la nécessité d’adapter la réponse institutionnelle à chaque patient. La fonction phorique relativement simple à organiser pour un enfant névrosé, devient plus complexe pour des enfants autistes ou psychotiques ; enfants pour lesquels les dispositifs de soins intègrent les aspects éducatifs, pédagogiques et thérapeutiques. Elle implique la dimension collective d’un étayage multiple animée de liens de confiance.

Plusieurs déclinaisons de la fonction phorique nous sont ensuite proposées dans des champs aussi divers que la clinique mère-bébé, la pédopsychiatrie de liaison, la prévention, la psychiatrie adulte, l’aide aux clochards, l’éveil de coma.

Autant d’attentions dignes d’une préoccupation maternelle primaire qui aide les personnes dépendantes à tenir debout. Mais rester cette « mère adéquate, sans plus » exige de proposer aux soignants une réflexion collective sur leurs pratiques. Dans les prises en charge de pathologies graves, l’équipe soignante doit pouvoir bénéficier de dispositifs lui permettant l’expression du contre transfert de chacun. L’intérêt porté à cette polyphonie permet de prendre en compte les identifications projectives des patients et soutient le soignant dans sa fonction métabolisante. La qualité des soins dépend alors de la solidité de l’équipe qui accompagne chacun dans son travail auprès des patients. L’équipe « exerce une fonction phorique auprès des soignants » précise l’auteur. Evoquant l’organisation d’un hôpital de jour, le préalable d’une réflexion commune des soignants sur les indications thérapeutiques est posé comme un incontournable. Les repères cliniques et psychopathologiques sont essentiels à l’ajustement des prises en charge à l’évolution de l’enfant. Les ateliers thérapeutiques utilisant des médiations diverses assurent une fonction phorique.

En fin, la psychiatrie de secteur est présentée comme un instrument phorique par excellence.

Dans ce petit livre, Pierre Delion, à travers l’arborescence des fonctions phorique, sémaphorique et métaphorique, nous présente un résumé des fondamentaux de la capacité de penser et des façons d’être secourable pour autrui.

Jean-Louis BERATTO