Ouverture de la Journée Annuelle des Psychologues – novembre 2016

Ouverture de la Journée Annuelle des Psychologues

par Anne J., présidente du CPCI

Bienvenue à la 11ème journée annuelle des psychologues de l’Isère. La première journée avait donc eu lieu en 2005. Au fil des années, nous avons développé nos échanges sur la place des psychologues dans les institutions et dans la société en lien avec les mutations qui leur sont inhérentes. Nous avions abordé l’année dernière la question de la complémentarité de nos pratiques. Nous continuons aujourd’hui notre travail de réflexion sur l’identité des psychologues et nous nous intéresserons plus particulièrement au « travailler ensemble ».

L’identité et le travail sont deux notions inséparables et c’est par là que je vais attraper les ficelles qui nous permettront de faire défiler notre journée.

Le travail est central dans la construction identitaire. Il entre en forte résonance symbolique avec notre identité personnelle, notre histoire infantile. C’est bien la singularité de notre parcours personnel qui nous pousse à mettre en place une certaine pratique puis à la modifier, jusqu’à peut-être sortir des rails théoriques. Travailler avec d’autres disciplines, articuler sa pratique à celle des autres, bref, coopérer, n’aboutit pas, nous l’espérons, au flou des pratiques. Bien au contraire, travailler de façon pluridisciplinaire aiguise les règles du métier, les déontologies de chaque discipline. Sortir des rails, oui, peut-être pas seul alors. Le risque serait de perdre la reconnaissance de ses pairs lorsque l’on change de posture professionnelle. Défricher de nouveaux champs cliniques avec des concepts et des pratiques non encore validés peut générer la mise au ban, l’isolement, l’arrêt d’une carrière, la nécessité impérieuse de quitter l’institution dans laquelle on travaille.

Comme le dit Alain-Noël HENRI dans « la formation en psychologie, filiation bâtarde, transmission troublée » ouvrage paru en 2004 :

« Les psychologues doivent travailler à trouver leur style, à devenir le chercheur qu’ils peuvent être face à des énigmes inéluctablement douloureuses et angoissantes. On dit souvent que pour être psychanalyste, il faut avoir réinventé la psychanalyse pour son propre compte dans l’expérience de sa propre cure, le psychologue doit réinventer les théories psychologiques pour son propre compte, dans l’expérience qui consiste à élucider ce qui en soi et autour de soi fait énigme pour lui. « 

Il me plaît de reprendre l’image développée par le psychanalyste Paul Montangerand, dans son ouvrage « la voie du thérapeute » :

« Nous appartenons aux générations qui succèdent à celle des grands pionniers, comme un cartographe devant les premiers explorateurs du continent africain. Ils [Ces cartographes] avaient les uns et les autres établi leurs tracés qui ne concordaient pas toujours, mais ils procédaient d’expériences vécues. A nous de voir comment tenir ensemble ces tracés de manière à établir notre propre carte du continent.« 

Le psychologue acquiert en partie son identité lors de sa formation initiale et c’est bien notre propos aujourd’hui. Le souci de rigueur scientifique et méthodologique appris dans le cursus universitaire fait partie des éléments de base auxquels s’ajoute une dimension particulière à ce métier qui tient à ce que la rencontre humaine ne peut être enfermée dans une rationalité codifiable ou programmée. Cette dimension est celle de la subjectivité et de l’intersubjectivité. Elle définira, pour le praticien, sa manière d’être et son implication dans la relation à l’autre. La transmission universitaire de cette « manière d’être » demeure relativement aléatoire. Ludovic GADEAU apportera peut-être des éclaircissements, son point de vue, à ce qui signifie pour un enseignant, pour un praticien, cette « manière d’être psychologue ».

Le savoir-faire alors ? Un savoir-faire psychologique dont on entrerait en possession lors de l’obtention du diplôme que l’on a tant désiré. On pourrait croire alors avoir acquis une maîtrise intellectuelle sur un savoir psychologique. Un tel « savoir-faire psychologique », je cite à nouveau Alain-Noël HENRI, deviendrait alors l’équivalent d’un « prêt à porter » qui éviterait, par là-même, de donner à penser ou à remettre en pensée ce qui se joue dans la rencontre avec un usager, usager que nous entendons dans le sens du sujet dont on écoute la parole : sujet individuel, couple, groupe, institution. Oserions-nous alors travailler avec un/une collègue en psychodrame ? Quelles conditions faut-il remplir pour que cela puisse aboutir ? Les conditions énoncées ne relèvent-elles pas d’un processus inconscient ?

« Nous ne sommes donc jamais vraiment psychologues » comme le faisait remarquer Jean Guillaumin à ses étudiants, mais nous essayons de nous maintenir psychologues, entreprise peu sécurisante, qui nous confronte sans cesse à nos manques, nos doutes, nos failles et nos défaillances narcissiques. C’est dans ce travail de désillusion par rapport à un « tout savoir » et un « tout pouvoir » que le psychologue trouvera sa plus juste place.

Travailler ensemble alors. C’est la réalité d’aujourd’hui, nous travaillons avec des psychologues cliniciens, des neuropsychologues, des psychologues du travail. Les théories, en psychologie, sont multiples : psychologie expérimentale, différentielle, sociale, clinique, ethnopsychiatrique, cognitiviste, comportementaliste, … Notre travail est différent mais je me pose la question et nous pose la question : les psychologues cliniciens sont-ils plus cliniciens qu’un neuropsychologue, lorsque l’on se réfère à l’étymologie du mot « clinique » ? L’objet d’étude du psychologue du travail est-il les organisations ou l’humain dans l’organisation du travail ?

Travailler ensemble et accéder à la parole de l’autre, l’autre identique à nous-mêmes de par sa fonction ? Faire partie d’un groupe de supervision, d’un groupe d’intervision, est-ce se mettre en danger ou être en capacité d’accéder à une groupalité interne ? C’est mettre au travail notre « prêt à porter », notre prêt à penser, c’est modifier, diversifier notre garde-robe de mots, de concepts, de clés de compréhension.

Travailler ensemble alors et prendre conscience de cette part de rivalité inhérente dans cette rencontre, entendre nos propres enjeux narcissiques et ceux de nos collègues. En travaillant avec nos pairs – P.A.I.R.S – c’est revisiter notre relation à nos frères et sœurs, notre histoire infantile avec elles et eux, nos fantasmes les concernant. Serait-il alors bienvenu et nécessaire que dans tout collègue il y ait un adversaire ?

Puis se séparer enfin pour devenir soi. J’espère qu’un jour les psychologues pourront devenir eux-mêmes dans leurs institutions et dans l’image qu’ils / que nous véhiculons dans la société. Deviens ce que tu es, disait Nietzsche. Cela nous invite à sortir de notre routine professionnelle, nous pousse au dépassement de soi et à la transcendance.

25 novembre 2016, à Grenoble

Anne J., Présidente du CPCI

Bibliographie :

A.-N. HENRI & P. MERCADER, La formation en psychologie, Filiation bâtarde, transmission troublée, Presses Universitaires de Lyon, 2004.

P. MONTENGERAND, La voie du thérapeute, sa propre édition, 2003.

Former n’est pas transmettre – Malaise dans la construction identitaire des psychologues, par Ludovic Gadeau à la JAP 2016

Former n’est pas transmettre

Malaise dans la construction identitaire des psychologues

Par Ludovic Gadeau

Evolution des logiques de fonctionnement à l’université et des incidences que cela a sur la formation des psychologues :

  • Depuis la loi Pécresse (Loi LRU de 2007), Le fonctionnement des universités a considérablement évolué :
    • Pour une meilleure lisibilité internationale, les établissements et les laboratoires doivent se regrouper en des ensembles de plus en plus gros. Ils sont mis en compétition pour obtenir des dotations de type Labex ou Idex qui assurent le fonctionnement des laboratoires. La principale source d’évaluation des laboratoires et des chercheurs, ce sont les publications.
    • Les enseignants-chercheurs sont évalués essentiellement à partir de leurs travaux de recherche et pas du tout à partir de leur investissement pédagogique. Et les travaux de recherches sont évalués à partir des revues dans lesquels ces travaux sont publiés. Il existe une liste référencée des revues dites à comité de lecture (il y en a 300 dont moins de 5% en langue française). Ces revues sont dans leur extrême majorité des revues anglo-saxonnes. Cela signifie que pour pouvoir publier dans ces revues, il faut accepter les standards de la recherche tels qu’ils sont prônés par ces revues. L’indice h (indice de Hirsch) est un calcul savant du nombre de citations et du nombre d’articles publiés. Plus l’indice est élevé et plus la valeur du chercheur est réputée grande. Mais cet indice ne dit pas si on est cité pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ce qui le rend en partie absurde… Tout cela conduit à devoir développer des stratégies pour « exister » et se rendre « visible »….
  • Il n’existe aucun statut prévu pour les enseignants-chercheurs psychologues praticiens. Cela signifie que de nombreux enseignants en clinique n’ont aucune pratique ou alors ont cessé le contact avec le terrain (autrement que par la recherche) à leur entrée dans la fonction d’enseignant-chercheur.
  • Disparition progressive de la psychanalyse à l’université : aujourd’hui sur les 35 universités françaises, seulement 12 ont un laboratoire de recherche où la psychanalyse est la théorie de référence (Aix-Marseille, Lille 3, Lyon 2, Montpellier 3 Paris 5, 7, 8, 10 et 13), Rennes 2, Strasbourg, Toulouse 2).
  • En 2016-17 : délivrance au plan national de 4967 diplômes de psychologie dont 2366 en clinique (il y avait en 2000 1595 places de master 2 clinique). Au niveau local, en clinique : dépt 73 = 85 ; dépt 38 = 85 ; dépt 69 = 175+30 sans compter les masters recherche (en santé, intervention, etc = 110. Total en clinique sur la région = 400. Se pose la question de l’insertion professionnelle des étudiants en raison de la faible adéquation entre le nombre de diplômés et le nombre d’emplois existants. Il n’y a aucune instance nationale qui vienne réguler le nombre de diplômés au regard du marché de l’emploi.
  • Avec la réforme LMD, sans qu’on en parle beaucoup, la valeur symbolique de la formation des psychologues s’est artificiellement dégradée depuis la mise en place de l’harmonisation européenne des diplômes. Jusqu’en 2002, le diplôme de psychologue était de niveau 3ème cycle. Depuis, il est devenu un diplôme de 2ème cycle.
  • Il n’y a pas de définition nationale des compétences professionnelles attendues au niveau Licence, master, et doctorat. Chaque porteur de mention les définit lui-même. Cela produit non seulement une sorte d’hétérogénéité dans les formations. Cela peut conduire à une hyperspécialisation des parcours de formation et faire des psychologues spécialisés dans un domaine et partiellement ignorants des gestes professionnels de base. Il y a là le risque de rabattre la profession de psychologue du côté du psychotechnicien.

La vulnérabilité institutionnelle :

Ajouté à ce contexte général, je voudrais formuler quelques remarques qui de mon point de vue soulignent combien les psychologues sont en position de vulnérabilité institutionnelle.

Je suis frappé par le fait que, souvent, les psychologues doivent réexpliquer ce qu’est leur travail dans les institutions qui les emploient, comme si ça n’était pas compris et lorsque ça l’était (ou paraissait l’être) ça ne tenait pas dans le temps. Comme si au fond la nature du travail des cliniciens ne s’inscrivait nulle part dans l’institution.

Est-ce que cette non-inscription est inhérente à la nature même du travail du psychologue clinicien, auquel cas il doit porter cette croix en permanence (et la formation devrait en tenir compte parce que ce n’est pas facile de se sentir attaqué dans la légitimité de ses interventions et même de sa place).

Ou est-ce que cette non-inscription tient à autre chose : c’est un peu l’hypothèse que je formule. Il me semble que ce défaut d’inscription renvoie à deux choses :

    • à une sorte de négativité de l’identité dans l’institution.
    • A un amoindrissement des aspects performatifs de la parole des psychologues à un niveau institutionnel/administratif.

La négativité me semble à l’œuvre dans le fait qu’il semble plus facile au psychologue de dire ce qu’il ne fait pas ou n’est pas que de dire ce qu’il est ou fait. Elle est à l’œuvre également en ceci que, bien que le psychologue ait un statut de cadre, rien dans son positionnement institutionnel ne semble se référer à cela : ni la rémunération, ni l’autonomie clinique, ni la responsabilité institutionnelle. La négativité est encore à l’œuvre dans le fait que les cliniciens cultivent une sorte de position d’exception, une position non classable dans l’institution.

Cette négativité se retrouve aussi, me semble-t-il, dans la façon dont la profession essaie de défendre ses intérêts :

    • Notre profession a du mal à savoir trouver son unité quand c’est nécessaire pour défendre ses propres intérêts.
    • C’est probablement une faiblesse des sciences humaines dans leur ensemble si on les compare aux sciences de la nature : par exemple les physiciens, les biologistes savent mettre en parenthèse le narcissisme des petites différences quand des intérêts supérieurs sont en jeu.

Les aspects performatifs de la parole du psychologue au niveau institutionnel sont amoindris parce que notre profession ne parvient pas à franchir le cap de la mise en place d’une autorité de régulation de l’exercice professionnel et à se faire représenter par elle.

Les psychologues ont besoin, pour travailler dans les institutions, d’une certaine mise en sécurité psychique, et cette sécurité n’est pas toujours assurée par l’employeur. Nous devons la garantir nous-mêmes.

La vulnérabilité institutionnelle serait atténuée et l’identité professionnelle renforcée :

  • Si le code de déontologie était opposable sur le plan juridique.
  • Si la profession se dotait d’une instance (ordre ou haute autorité) qui représente la profession face aux pouvoirs publics et soit le garant du respect du code de déontologie.
  • Si on découplait les titres et diplômes du droit d’exercer : les diplômes sont attribués par l’université et de droit d’exercer serait une prérogative de cette instance (ce qui permettrait aux professionnels d’avoir un droit de regard sur les formations dispensées et d’en assurer l’homogénéité du point de vue des compétences attendues).

Est-ce que notre profession est parvenue à un degré de maturité suffisant pour se souder autour d’objectifs communs de cette sorte ? Je laisse la question ouverte.

L’identité professionnelle devrait se construire à partir de deux pôles :

  • Celui de la filiation (transmission)
  • Celui de l’affiliation (instance de référence professionnelle, haut conseil, etc.).

Comment différencier formation et transmission ? Ce n’est évidemment pas simple parce qu’il y a des zones de recouvrement entre les deux champs, mais disons que la formation est à la connaissance objectivée ce que la transmission serait au savoir subjectivable. La formation est davantage du côté de l’universitaire et la transmission davantage du côté du praticien référent de stage.

La formation, on voit assez bien ce à quoi ça renvoie : des contenus académiques, un état actualisé des connaissances nécessaires au sujet à former, des méthodes de travail, une évaluation de ce qui est supposé être compris ou maîtrisé.

La transmission, c’est plus compliqué à appréhender : la transmission est un transfert : d’ailleurs Ubertragung, en allemand c’est au sens premier : transmission. La transmission, c’est un transfert croisé, dans lequel quelque chose est mis en circulation entre le maître et l’élève. Entre le maître-formateur et l’élève transite une sorte de concentré d’expérience qui est attente de décompactage (ce serait ça le savoir subjectivable). Ce quelque chose qui se transfert, c’est à mon sens un héritage, c’est-à-dire quelque chose qui vient du passé et devient un passé commun, un passé qui fait communauté, un passé présentifié qui assure une filiation à celui qui le reçoit. Transmettre, c’est inscrire l’autre dans une filiation. La filiation c’est le versant diachronique de l’identité professionnelle.

Mais l’identité professionnelle a besoin aussi de son correspondant dans la réalité objective : c’est l’affiliation. L’affiliation c’est le versant synchronique de l’identité professionnelle. L’affiliation identitaire serait favorisée par l’existence d’une instance commune (haute autorité ou conseil de l’ordre) en ce qu’elle pourrait veiller aux intérêts et aux exigences de la profession et ainsi assurer à la génération à venir la protection nécessaire à l’exercice de la profession.

Former n’est pas transmettre

Malaise dans la construction identitaire des psychologues

Par Ludovic Gadeau

Evolution des logiques de fonctionnement à l’université et des incidences que cela a sur la formation des psychologues :

  • Depuis la loi Pécresse (Loi LRU de 2007), Le fonctionnement des universités a considérablement évolué :
    • Pour une meilleure lisibilité internationale, les établissements et les laboratoires doivent se regrouper en des ensembles de plus en plus gros. Ils sont mis en compétition pour obtenir des dotations de type Labex ou Idex qui assurent le fonctionnement des laboratoires. La principale source d’évaluation des laboratoires et des chercheurs, ce sont les publications.
    • Les enseignants-chercheurs sont évalués essentiellement à partir de leurs travaux de recherche et pas du tout à partir de leur investissement pédagogique. Et les travaux de recherches sont évalués à partir des revues dans lesquels ces travaux sont publiés. Il existe une liste référencée des revues dites à comité de lecture (il y en a 300 dont moins de 5% en langue française). Ces revues sont dans leur extrême majorité des revues anglo-saxonnes. Cela signifie que pour pouvoir publier dans ces revues, il faut accepter les standards de la recherche tels qu’ils sont prônés par ces revues. L’indice h (indice de Hirsch) est un calcul savant du nombre de citations et du nombre d’articles publiés. Plus l’indice est élevé et plus la valeur du chercheur est réputée grande. Mais cet indice ne dit pas si on est cité pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ce qui le rend en partie absurde… Tout cela conduit à devoir développer des stratégies pour « exister » et se rendre « visible »….
  • Il n’existe aucun statut prévu pour les enseignants-chercheurs psychologues praticiens. Cela signifie que de nombreux enseignants en clinique n’ont aucune pratique ou alors ont cessé le contact avec le terrain (autrement que par la recherche) à leur entrée dans la fonction d’enseignant-chercheur.
  • Disparition progressive de la psychanalyse à l’université : aujourd’hui sur les 35 universités françaises, seulement 12 ont un laboratoire de recherche où la psychanalyse est la théorie de référence (Aix-Marseille, Lille 3, Lyon 2, Montpellier 3 Paris 5, 7, 8, 10 et 13), Rennes 2, Strasbourg, Toulouse 2).
  • En 2016-17 : délivrance au plan national de 4967 diplômes de psychologie dont 2366 en clinique (il y avait en 2000 1595 places de master 2 clinique). Au niveau local, en clinique : dépt 73 = 85 ; dépt 38 = 85 ; dépt 69 = 175+30 sans compter les masters recherche (en santé, intervention, etc = 110. Total en clinique sur la région = 400. Se pose la question de l’insertion professionnelle des étudiants en raison de la faible adéquation entre le nombre de diplômés et le nombre d’emplois existants. Il n’y a aucune instance nationale qui vienne réguler le nombre de diplômés au regard du marché de l’emploi.
  • Avec la réforme LMD, sans qu’on en parle beaucoup, la valeur symbolique de la formation des psychologues s’est artificiellement dégradée depuis la mise en place de l’harmonisation européenne des diplômes. Jusqu’en 2002, le diplôme de psychologue était de niveau 3ème cycle. Depuis, il est devenu un diplôme de 2ème cycle.
  • Il n’y a pas de définition nationale des compétences professionnelles attendues au niveau Licence, master, et doctorat. Chaque porteur de mention les définit lui-même. Cela produit non seulement une sorte d’hétérogénéité dans les formations. Cela peut conduire à une hyperspécialisation des parcours de formation et faire des psychologues spécialisés dans un domaine et partiellement ignorants des gestes professionnels de base. Il y a là le risque de rabattre la profession de psychologue du côté du psychotechnicien.

La vulnérabilité institutionnelle :

Ajouté à ce contexte général, je voudrais formuler quelques remarques qui de mon point de vue soulignent combien les psychologues sont en position de vulnérabilité institutionnelle.

Je suis frappé par le fait que, souvent, les psychologues doivent réexpliquer ce qu’est leur travail dans les institutions qui les emploient, comme si ça n’était pas compris et lorsque ça l’était (ou paraissait l’être) ça ne tenait pas dans le temps. Comme si au fond la nature du travail des cliniciens ne s’inscrivait nulle part dans l’institution.

Est-ce que cette non-inscription est inhérente à la nature même du travail du psychologue clinicien, auquel cas il doit porter cette croix en permanence (et la formation devrait en tenir compte parce que ce n’est pas facile de se sentir attaqué dans la légitimité de ses interventions et même de sa place).

Ou est-ce que cette non-inscription tient à autre chose : c’est un peu l’hypothèse que je formule. Il me semble que ce défaut d’inscription renvoie à deux choses :

    • à une sorte de négativité de l’identité dans l’institution.
    • A un amoindrissement des aspects performatifs de la parole des psychologues à un niveau institutionnel/administratif.

La négativité me semble à l’œuvre dans le fait qu’il semble plus facile au psychologue de dire ce qu’il ne fait pas ou n’est pas que de dire ce qu’il est ou fait. Elle est à l’œuvre également en ceci que, bien que le psychologue ait un statut de cadre, rien dans son positionnement institutionnel ne semble se référer à cela : ni la rémunération, ni l’autonomie clinique, ni la responsabilité institutionnelle. La négativité est encore à l’œuvre dans le fait que les cliniciens cultivent une sorte de position d’exception, une position non classable dans l’institution.

Cette négativité se retrouve aussi, me semble-t-il, dans la façon dont la profession essaie de défendre ses intérêts :

    • Notre profession a du mal à savoir trouver son unité quand c’est nécessaire pour défendre ses propres intérêts.
    • C’est probablement une faiblesse des sciences humaines dans leur ensemble si on les compare aux sciences de la nature : par exemple les physiciens, les biologistes savent mettre en parenthèse le narcissisme des petites différences quand des intérêts supérieurs sont en jeu.

Les aspects performatifs de la parole du psychologue au niveau institutionnel sont amoindris parce que notre profession ne parvient pas à franchir le cap de la mise en place d’une autorité de régulation de l’exercice professionnel et à se faire représenter par elle.

Les psychologues ont besoin, pour travailler dans les institutions, d’une certaine mise en sécurité psychique, et cette sécurité n’est pas toujours assurée par l’employeur. Nous devons la garantir nous-mêmes.

La vulnérabilité institutionnelle serait atténuée et l’identité professionnelle renforcée :

  • Si le code de déontologie était opposable sur le plan juridique.
  • Si la profession se dotait d’une instance (ordre ou haute autorité) qui représente la profession face aux pouvoirs publics et soit le garant du respect du code de déontologie.
  • Si on découplait les titres et diplômes du droit d’exercer : les diplômes sont attribués par l’université et de droit d’exercer serait une prérogative de cette instance (ce qui permettrait aux professionnels d’avoir un droit de regard sur les formations dispensées et d’en assurer l’homogénéité du point de vue des compétences attendues).

Est-ce que notre profession est parvenue à un degré de maturité suffisant pour se souder autour d’objectifs communs de cette sorte ? Je laisse la question ouverte.

L’identité professionnelle devrait se construire à partir de deux pôles :

  • Celui de la filiation (transmission)
  • Celui de l’affiliation (instance de référence professionnelle, haut conseil, etc.).

Comment différencier formation et transmission ? Ce n’est évidemment pas simple parce qu’il y a des zones de recouvrement entre les deux champs, mais disons que la formation est à la connaissance objectivée ce que la transmission serait au savoir subjectivable. La formation est davantage du côté de l’universitaire et la transmission davantage du côté du praticien référent de stage.

La formation, on voit assez bien ce à quoi ça renvoie : des contenus académiques, un état actualisé des connaissances nécessaires au sujet à former, des méthodes de travail, une évaluation de ce qui est supposé être compris ou maîtrisé.

La transmission, c’est plus compliqué à appréhender : la transmission est un transfert : d’ailleurs Ubertragung, en allemand c’est au sens premier : transmission. La transmission, c’est un transfert croisé, dans lequel quelque chose est mis en circulation entre le maître et l’élève. Entre le maître-formateur et l’élève transite une sorte de concentré d’expérience qui est attente de décompactage (ce serait ça le savoir subjectivable). Ce quelque chose qui se transfert, c’est à mon sens un héritage, c’est-à-dire quelque chose qui vient du passé et devient un passé commun, un passé qui fait communauté, un passé présentifié qui assure une filiation à celui qui le reçoit. Transmettre, c’est inscrire l’autre dans une filiation. La filiation c’est le versant diachronique de l’identité professionnelle.

Mais l’identité professionnelle a besoin aussi de son correspondant dans la réalité objective : c’est l’affiliation. L’affiliation c’est le versant synchronique de l’identité professionnelle. L’affiliation identitaire serait favorisée par l’existence d’une instance commune (haute autorité ou conseil de l’ordre) en ce qu’elle pourrait veiller aux intérêts et aux exigences de la profession et ainsi assurer à la génération à venir la protection nécessaire à l’exercice de la profession.

Former n’est pas transmettre

Malaise dans la construction identitaire des psychologues

Par Ludovic Gadeau

Evolution des logiques de fonctionnement à l’université et des incidences que cela a sur la formation des psychologues :

  • Depuis la loi Pécresse (Loi LRU de 2007), Le fonctionnement des universités a considérablement évolué :
    • Pour une meilleure lisibilité internationale, les établissements et les laboratoires doivent se regrouper en des ensembles de plus en plus gros. Ils sont mis en compétition pour obtenir des dotations de type Labex ou Idex qui assurent le fonctionnement des laboratoires. La principale source d’évaluation des laboratoires et des chercheurs, ce sont les publications.
    • Les enseignants-chercheurs sont évalués essentiellement à partir de leurs travaux de recherche et pas du tout à partir de leur investissement pédagogique. Et les travaux de recherches sont évalués à partir des revues dans lesquels ces travaux sont publiés. Il existe une liste référencée des revues dites à comité de lecture (il y en a 300 dont moins de 5% en langue française). Ces revues sont dans leur extrême majorité des revues anglo-saxonnes. Cela signifie que pour pouvoir publier dans ces revues, il faut accepter les standards de la recherche tels qu’ils sont prônés par ces revues. L’indice h (indice de Hirsch) est un calcul savant du nombre de citations et du nombre d’articles publiés. Plus l’indice est élevé et plus la valeur du chercheur est réputée grande. Mais cet indice ne dit pas si on est cité pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ce qui le rend en partie absurde… Tout cela conduit à devoir développer des stratégies pour « exister » et se rendre « visible »….
  • Il n’existe aucun statut prévu pour les enseignants-chercheurs psychologues praticiens. Cela signifie que de nombreux enseignants en clinique n’ont aucune pratique ou alors ont cessé le contact avec le terrain (autrement que par la recherche) à leur entrée dans la fonction d’enseignant-chercheur.
  • Disparition progressive de la psychanalyse à l’université : aujourd’hui sur les 35 universités françaises, seulement 12 ont un laboratoire de recherche où la psychanalyse est la théorie de référence (Aix-Marseille, Lille 3, Lyon 2, Montpellier 3 Paris 5, 7, 8, 10 et 13), Rennes 2, Strasbourg, Toulouse 2).
  • En 2016-17 : délivrance au plan national de 4967 diplômes de psychologie dont 2366 en clinique (il y avait en 2000 1595 places de master 2 clinique). Au niveau local, en clinique : dépt 73 = 85 ; dépt 38 = 85 ; dépt 69 = 175+30 sans compter les masters recherche (en santé, intervention, etc = 110. Total en clinique sur la région = 400. Se pose la question de l’insertion professionnelle des étudiants en raison de la faible adéquation entre le nombre de diplômés et le nombre d’emplois existants. Il n’y a aucune instance nationale qui vienne réguler le nombre de diplômés au regard du marché de l’emploi.
  • Avec la réforme LMD, sans qu’on en parle beaucoup, la valeur symbolique de la formation des psychologues s’est artificiellement dégradée depuis la mise en place de l’harmonisation européenne des diplômes. Jusqu’en 2002, le diplôme de psychologue était de niveau 3ème cycle. Depuis, il est devenu un diplôme de 2ème cycle.
  • Il n’y a pas de définition nationale des compétences professionnelles attendues au niveau Licence, master, et doctorat. Chaque porteur de mention les définit lui-même. Cela produit non seulement une sorte d’hétérogénéité dans les formations. Cela peut conduire à une hyperspécialisation des parcours de formation et faire des psychologues spécialisés dans un domaine et partiellement ignorants des gestes professionnels de base. Il y a là le risque de rabattre la profession de psychologue du côté du psychotechnicien.

La vulnérabilité institutionnelle :

Ajouté à ce contexte général, je voudrais formuler quelques remarques qui de mon point de vue soulignent combien les psychologues sont en position de vulnérabilité institutionnelle.

Je suis frappé par le fait que, souvent, les psychologues doivent réexpliquer ce qu’est leur travail dans les institutions qui les emploient, comme si ça n’était pas compris et lorsque ça l’était (ou paraissait l’être) ça ne tenait pas dans le temps. Comme si au fond la nature du travail des cliniciens ne s’inscrivait nulle part dans l’institution.

Est-ce que cette non-inscription est inhérente à la nature même du travail du psychologue clinicien, auquel cas il doit porter cette croix en permanence (et la formation devrait en tenir compte parce que ce n’est pas facile de se sentir attaqué dans la légitimité de ses interventions et même de sa place).

Ou est-ce que cette non-inscription tient à autre chose : c’est un peu l’hypothèse que je formule. Il me semble que ce défaut d’inscription renvoie à deux choses :

    • à une sorte de négativité de l’identité dans l’institution.
    • A un amoindrissement des aspects performatifs de la parole des psychologues à un niveau institutionnel/administratif.

La négativité me semble à l’œuvre dans le fait qu’il semble plus facile au psychologue de dire ce qu’il ne fait pas ou n’est pas que de dire ce qu’il est ou fait. Elle est à l’œuvre également en ceci que, bien que le psychologue ait un statut de cadre, rien dans son positionnement institutionnel ne semble se référer à cela : ni la rémunération, ni l’autonomie clinique, ni la responsabilité institutionnelle. La négativité est encore à l’œuvre dans le fait que les cliniciens cultivent une sorte de position d’exception, une position non classable dans l’institution.

Cette négativité se retrouve aussi, me semble-t-il, dans la façon dont la profession essaie de défendre ses intérêts :

    • Notre profession a du mal à savoir trouver son unité quand c’est nécessaire pour défendre ses propres intérêts.
    • C’est probablement une faiblesse des sciences humaines dans leur ensemble si on les compare aux sciences de la nature : par exemple les physiciens, les biologistes savent mettre en parenthèse le narcissisme des petites différences quand des intérêts supérieurs sont en jeu.

Les aspects performatifs de la parole du psychologue au niveau institutionnel sont amoindris parce que notre profession ne parvient pas à franchir le cap de la mise en place d’une autorité de régulation de l’exercice professionnel et à se faire représenter par elle.

Les psychologues ont besoin, pour travailler dans les institutions, d’une certaine mise en sécurité psychique, et cette sécurité n’est pas toujours assurée par l’employeur. Nous devons la garantir nous-mêmes.

La vulnérabilité institutionnelle serait atténuée et l’identité professionnelle renforcée :

  • Si le code de déontologie était opposable sur le plan juridique.
  • Si la profession se dotait d’une instance (ordre ou haute autorité) qui représente la profession face aux pouvoirs publics et soit le garant du respect du code de déontologie.
  • Si on découplait les titres et diplômes du droit d’exercer : les diplômes sont attribués par l’université et de droit d’exercer serait une prérogative de cette instance (ce qui permettrait aux professionnels d’avoir un droit de regard sur les formations dispensées et d’en assurer l’homogénéité du point de vue des compétences attendues).

Est-ce que notre profession est parvenue à un degré de maturité suffisant pour se souder autour d’objectifs communs de cette sorte ? Je laisse la question ouverte.

L’identité professionnelle devrait se construire à partir de deux pôles :

  • Celui de la filiation (transmission)
  • Celui de l’affiliation (instance de référence professionnelle, haut conseil, etc.).

Comment différencier formation et transmission ? Ce n’est évidemment pas simple parce qu’il y a des zones de recouvrement entre les deux champs, mais disons que la formation est à la connaissance objectivée ce que la transmission serait au savoir subjectivable. La formation est davantage du côté de l’universitaire et la transmission davantage du côté du praticien référent de stage.

La formation, on voit assez bien ce à quoi ça renvoie : des contenus académiques, un état actualisé des connaissances nécessaires au sujet à former, des méthodes de travail, une évaluation de ce qui est supposé être compris ou maîtrisé.

La transmission, c’est plus compliqué à appréhender : la transmission est un transfert : d’ailleurs Ubertragung, en allemand c’est au sens premier : transmission. La transmission, c’est un transfert croisé, dans lequel quelque chose est mis en circulation entre le maître et l’élève. Entre le maître-formateur et l’élève transite une sorte de concentré d’expérience qui est attente de décompactage (ce serait ça le savoir subjectivable). Ce quelque chose qui se transfert, c’est à mon sens un héritage, c’est-à-dire quelque chose qui vient du passé et devient un passé commun, un passé qui fait communauté, un passé présentifié qui assure une filiation à celui qui le reçoit. Transmettre, c’est inscrire l’autre dans une filiation. La filiation c’est le versant diachronique de l’identité professionnelle.

Mais l’identité professionnelle a besoin aussi de son correspondant dans la réalité objective : c’est l’affiliation. L’affiliation c’est le versant synchronique de l’identité professionnelle. L’affiliation identitaire serait favorisée par l’existence d’une instance commune (haute autorité ou conseil de l’ordre) en ce qu’elle pourrait veiller aux intérêts et aux exigences de la profession et ainsi assurer à la génération à venir la protection nécessaire à l’exercice de la profession.

Grenoble, novembre 2016

Ludovic Gadeau